Chauve-souris sauce grand chef

Musique / Emmanuel Krivine est de la trempe de chefs d’orchestre qui se font rares : impétueusement géniaux, musicalement subtils autant que puissants, décriés ou adulés. Avec le temps, son cynisme s’est mué en humour inclassable, son exigence est restée intacte. Rencontre jouissive avec un Maître en pleine répétition de La Chauve-souris de Johann Strauss. Pascale Clavel

Petit Bulletin : On vous connaît dans l’univers de l’oratorio, moins dans celui de l’opéra. Quant à l’opérette…votre choix peut en surprendre plus d’un. Quel lien particulier tissez-vous avec cette Chauve-souris ?
Emmanuel Krivine : J’adore la Chauve-souris. Je prends cette opérette à bras le corps et au tout premier degré. C’est une œuvre merveilleuse, digne des Noces de Figaro. J’ai beaucoup dirigé Johann Strauss, ses valses, ses polkas. J’ai également dirigé des œuvres de son père, de ses frères. Les compositeurs «sérieux» de son temps l’estimaient beaucoup, Brahms l’admirait. Pour moi, c’est d’une tout autre qualité qu’Offenbach, sa musique est digne de celle de Mozart, il n’y a pas une note à jeter, c’est une merveille absolue. La Chauve-souris, c’est une passion. Attention, je n’ai pas une passion pour l’opérette mais bien pour La Chauve-souris. C’est comme les vins, on aime que les bonnes bouteilles. Pour moi, Offenbach, je le dis crument, c’est ce que les jeunes appellent de la daube. À propos de Strauss, Je rappelle l’anecdote où une dame, à la sortie d’un concert, demandait à Brahms de signer sur son éventail. Etait inscrit sur cet éventail «le beau Danube bleu». Brahms aurait dit : «Malheureusement pas de moi». Strauss, qu’on prend souvent pour un compositeur léger, a dirigé Tristan de Wagner, c’est un très grand musicien. Ce n’est pas par hasard si un homme comme Kleiber, notre maître à tous, adorait la musique de Strauss. Ce compositeur est tout dans la subtilité, c’est en cela qu’il ressemble tant à Mozart.La Chauve-souris, pour le grand public, c’est au mieux une succession de tubes, une enfilade d’airs ultra connus. Qu’allez-vous faire pour convaincre du génie de cette œuvre ?
Strauss n’a pas voulu faire des tubes. Après coup, on dit que c’est un tube. Ce n’est pas parce que du caviar serait dans tous les supermarchés que ce ne serait plus du caviar. Cette œuvre n’a pas été trafiquée pour le grand public, la partition est intacte, la version que nous donnons à l’opéra de Lyon est en fait l’édition originale. Je ne m’occupe jamais de savoir si mon interprétation va plaire ou déplaire ; je ne travaille pas moins ma partition parce que l’œuvre est très connue. À travers ma subjectivité inévitable, je vais au plus près de ce que le compositeur a voulu. En tant que chef d’orchestre, je suis là pour transmettre et pour que l’œuvre vive, je dois être le plus transparent possible pour que la musique passe. L’œuvre est reine. Je ne suis pas là pour que le public soit content, s’il l’est tant mieux mais en même temps je ne me sens pas de faire de la démagogie pour que mon interprétation plaise vite et fort. Chaque personne devrait aller au spectacle comme il va à un rituel, comme d’autres vont à la messe, comme d’autres vont vers la nature. On va vers, ce n’est pas un produit. La culture n’est pas un produit.La cohérence d’une interprétation est-elle toujours simple à trouver entre la vision du chef et celle du metteur en scène ?
Lorsque j’aborde une œuvre, j’ai souvent l’impression qu’il manque tout et là, sur cette production, je n’ai aucune frustration. C’est une œuvre extrêmement jouissive, plaisante à jouer, à faire physiquement. Nous avons une belle collaboration avec Peter Langdal. Le problème souvent entre les metteurs en scène et les chefs d’orchestres est une sombre histoire de pouvoir. Je suis là pour faire cette musique le mieux possible, je suis aidé en cela par la mise en scène très inventive, très folle de Peter Langdal. Il se passe une multitude de choses sur scène, c’est vraiment très drôle, très festif. Quant à l’orchestre, je le connais très bien, je viens à l’Opéra de Lyon presque chaque année et des liens forts se sont tissés. Ce spectacle peut plaire par essence, par nature. Je ne suis plus celui d’autrefois, je ne m’acharne plus sur des partis pris auxquels je tiens comme à la prunelle de mes yeux. L’opéra, ne l’oublions pas, est au service de la scène, c’est un véritable cocktail, un tout.La Chauve-souris
À l'Opéra de Lyon du 17 décembre au 1er janvier.

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