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Belles îles amères

Portrait / Jean-Sébastien Nouveau. Homme orchestre aux multiples avatars, il a produit avec Les Marquises l'un des albums de l'année 2010, le très beau "Lost, Lost, Lost". Stéphane Duchêne

Chaque fin d'année, le mélomane s'attèle à la tâche : il taille son plus joli crayon de bois, déplie son plus précieux bloc-notes et entame un long processus oscillant entre le devoir de mémoire et le bilan comptable. Puis, sa tâche achevée, il s'en va harceler ses congénères d'un : «Eh, Francis (si le congénère en question s'appelle Francis) c'est quoi ton Top 10 des albums 2010 ?». Manière d'affirmer sa propre identité musicale tout en consacrant, au sens religieux du terme, les musiciens les plus méritants de l'année écoulée. Une pratique également très répandue dans le domaine cinématographique, moins dans le milieu littéraire (allez donc trouver quelqu'un qui a lu dix livres). Cette année, de la blogosphère la plus pointue à la presse la plus respectée des puristes (Magic, Pinkushion) en passant par les dénicheurs de talents les plus finauds (Cyrille Bonin du Transbordeur, La Route du Rock), un album qu'on n'attendait pas n'a cessé d'être cité, à l'égal ou presque des Arcade Fire ou autres Sufjan Stevens : Lost, Lost, Lost, signé Les Marquises. À l'origine de cette singulière petite merveille sortie d'à peu près nulle part (Lyon) pour mieux laisser quelques esgourdes en carafe, il y a Jean-Sébastien Nouveau. Pas si nouveau que ça d'ailleurs puisque déjà à la tête de plusieurs projets musicaux lyonnais remarqués : d'Immune (déjà chroniqué dans ces pages), à Recorded Home (découvert, comme Immune, à feu-Dandelyon) en passant par Colo Colo (voir encadré).

Henry Darger

Au moment de le rencontrer, on s'attend donc un peu à trouver une sorte de démiurge qui vous écrase de son charisme et de son énergie créatrice. Au lieu de cela, on découvre un jeune homme discret et, de son propre aveu «pas vraiment musicien». Son rapport à la musique : celui «d'un enfant qui ferait des dessins ou construirait des Lego et voudrait les montrer à tout le monde». Et qui ne ferait que ça, avec le sérieux et l'application que mettent toujours les enfants au service de leurs jeux : «dès que je fais de la musique, j'enregistre ce que je joue», dit-il. Ainsi, rien ne se perd, pas même le musicien, qui pourrait pourtant perdre la tête en multipliant ainsi les projets, au risque de brouiller les pistes : «C'est vrai que c'est compliqué et que ce n'est pas l'idéal pour communiquer, mais avec ces différents projets, j'ai créé des cases adaptées à chacune de mes manières de travailler». Autant de petites îles où il voyage, en solitaire ou pas, comme avec Les Marquises, qui pourrait bien devenir son archipel principal pour un exil prolongé : «Pour moi, c'est un collectif dont je suis le noyau dur. L'idée c'est de m'entourer ponctuellement de gens comme Jordan Geiger de Minus Story qui fait les voix». Nouveau a néanmoins rêvé, pensé, écrit et composé seul Lost, Lost, Lost, s'inspirant des obsessions et sentiments engendrés par la découverte de l'étrange œuvre d'Henry Darger. Chez ce dessinateur américain, timbré et reclus, piètre technicien de son art mais génie du montage et du collage, Jean-Sébastien a trouvé un univers qui l'a bouleversé et une manière de travailler dans laquelle il s'est reconnu.

Nouveau défi

Le résultat comble ses espérances : «c'est mon projet le plus abouti, celui dont je suis le plus fier». Face aux bons retours suscités par Lost, Lost, Lost, Jean-Sébastien nourrit cependant des sentiments mitigés, heureux de l'accueil critique, mais déçu que les ventes ne décollent pas : «le côté indé à tout prix ça m'emmerde, dit celui qui a pourtant créé son propre label, si je fais de la musique c'est pour qu'un maximum de monde l'écoute, or les ventes sont très modestes et il y a des media qu'on ne touche pas». Mais on le trouve paradoxalement embêté lorsqu'il s'agit de payer la rançon de son petit succès. C'est que les sollicitations pour des concerts commencent à affluer. Or ne raffolant pas de la scène, Jean-Sébastien ne pensait pas avoir à transposer Lost, Lost, Lost en live : «pour moi la musique, c'est faire des disques pas des concerts. Et puis à force je me suis dit que c'était trop con de ne pas essayer». Une tournée en trio, devrait donc démarrer en septembre avec le tourneur de la Route du Rock, ainsi qu'une probable résidence au Transbordeur. A priori sans l'Américain Jordan Geiger, mais non sans crainte : «On va essayer de faire au mieux, d'être humble. Je ne sais pas du tout comment ça sonnera et c'est un défi qui me fait beaucoup stresser. Là, vu ma manière de composer, j'en suis au stade complètement débile où je déchiffre mes propres morceaux parce que je ne sais pas les jouer». Pas d'inquiétude, si dans la culture populaire, la créature échappe parfois à son démiurge, il finit généralement par la rattraper.

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