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Not dead but bien raide

Kendrick Lamar

Le Kao

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Ils s'appellent Asap Rocky, Tyler the Creator ou Schoolboy Q. Ils sont jeunes, connectés, prolifiques, un peu niqués de la tête et surtout très doués et, de New York à Los Angeles en passant par Pittsburgh, ils reconfigurent le rap game nord-américain depuis le début de la décennie. Portrait collectif d'une génération en train de tuer le daron (avec sa complicité) et focus au singulier sur son plus éminent représentant, Kendrick Lamar, à l'occasion de son passage au Kao. Benjamin Mialot

Dans ce vaste tout-à-l'ego qu'est le milieu du hip hop, les façons de prendre l'ascendant médiatique se comptent sur la main d'un Latin King faisant le signe de ralliement de sa bande – le même que celui des fans de heavy metal, à un pouce tendu près. Option numéro un, très prisée des Français : pourrir publiquement un rival, en priant pour que l'étendue de sa répartie ne soit pas proportionnelle au volume de ses biscottos. Option numéro deux, typiquement nord-américaine : sécuriser un deal (production, featuring, apparition dans un clip) avec une star de la pop, ce qui implique de déjà bénéficier d'un minimum de talent et/ou de notoriété. Option numéro trois, la plus vaniteuse, mais dont on raffole autant des deux côtés de l'Atlantique : acter la mort du genre pour mieux se poser comme son rédempteur, avec la certitude d'être sèchement contredit à plus ou moins long terme. En France, Fuzati a tenté le coup en 2004 sur Dead Hip-hop, extrait du premier album du Klub des Loosers. Bientôt neuf ans plus tard, n'en déplaise à ce misanthrope masqué dont on ne cesse de louer la verve, le rap hexagonal a gagné en fantaisie ce qu'il a perdu en conscience et s'en porte comme un charme, grâce à une myriade de collectifs (La Fronce, L'Entourage, L'Animalerie...) tous plus féconds les uns que les autres. Aux États-Unis, berceau du mouvement, c'est Nas qui, en 2006, en a sonné le glas sur un huitième effort explicitement titré Hip Hop Is Dead. Pas de chance pour cet immense bonhomme du East Coast – qui, pour rappel, se distingue traditionnellement de son cousin de l'Ouest par un son plus agressif et des textes plus techniques, toute une nouvelle génération d'as du mic s'échine actuellement à le faire mentir. Et elle s'en sort si bien que ses œuvres redessinent peu à peu les contours de la culture mainstream U.S.

Si si la famille

Cette dernière en avait bien besoin : entre la mégalomanie des uns (50 Cent préfère enchaîner les navets cinématographiques plutôt que les patates discographiques), l'oisiveté des autres (on attend depuis 2004 le Detox de Dr. Dre) et les pétages de plomb des derniers (Snoop Dogg et sa conversion au rastafarisme), c'est peu dire que les big names du rap game, à l'exception de Kanye West, ne font plus rêver personne depuis le début du siècle. Encore fallait-il que quelqu'un profite de cette insipidité généralisée. C'est ce qu'ont fait Kendrick Lamar (en concert au Kao lundi 28 janvier), Tyler the Creator, A$AP Rocky, Curren$y, Wiz Khalifa, Schoolboy Q. ou encore Frank Ocean, pour ne citer que les plus buzzées de ces nouvelles coqueluches des prescripteurs de bonnes vibrations et des magazines de mode. Coqueluches qui n'ont a priori rien en commun. Ni sur le plan démographique (elles ont entre 17 ans et la trentaine), ni sur le plan géographique, leurs bases d'opération ne se situant pas seulement à Los Angeles et New York, mais également à Pittsburgh ou à la Nouvelle-Orléans, encore moins sur le plan musical. Difficile en effet d'établir un lien de parenté entre la loufoquerie borderline de Tyler the Creator et la franchise soulful de Kendrick Lamar, entre le R'n'B baigné de lumière de Frank Ocean et la noirceur protéiforme de Schoolboy Q. Et pourtant, il existe bel et bien : le point commun de tout ce petit monde, c'est justement de n'en avoir aucun avec celui qui l'a précédé, quand bien même les habitants de ce dernier tentent de se refaire une jeunesse en jouant les parrains bienveillants. Les guns, les bitches et le bling ? Pas une fin en soi, juste la manifestation d'un hédonisme régressif. L'antagonisme ancestral entre la Côte Est et la Côte Ouest ? Rien à cirer, quand les seules frontières que l'on connaît sont celles qu'a abolies Internet.

La vie en pourpre

Internet, le grand mot est lâché. À chacun son marronnier : la presse généraliste a les Franc-maçons, la critique culturelle a le Réseau des réseaux. Reste que ce serait nier l'évidence de croire que, de l'émergence du dubstep au remodelage de la pop anglaise, les musiques amplifiées auraient connu tant de bénéfiques mutations sans la simplification technique et le gain en interactivité qui ont caractérisé son développement depuis le début des années 2000. Si les productions de tous les jeunes gens précédemment évoqués sont aussi hétéroclites et inouïes, en cela qu'elles concassent les dogmes old school à grands coups d'emprunts aux bizarreries sudistes type chopped and screwed - technique de remix texane combinant ralentissement de tempo et répétitions scratchées, à l'électro, à la soul ou encore au jazz, c'est bien parce qu'il a suffi à leurs auteurs de quelques clics de souris pour se confectionner un bagage musical gros comme ça – et pour faire le plein de sirop pour la toux, ingrédient principal du Purple drank, boisson aux vertus sédatives emblématique de cette scène. Quant à leur succès, il doit sa fulgurance à leur investissement par l'esprit do it yourself propre au web social, qu'il se manifeste par la mise à disposition gratuite de mixtapes – tous ont été repérés par ce biais, par l'établissement de contacts directs, en particulier via Twitter, avec une fanbase de plus en plus dématérialisée... Ou par la pas si paradoxale réhabilitation du crew, forme d'organisation intrinsèquement liée aux cultures urbaines et à leur culte de la camaraderie, longtemps passée de mode au profit d'un individualisme forcené et de nouveau privilégiée par tout ce que la planète compte de gamins plus ambitieux que la moyenne pour le contrôle artistique et l'émulation créative qu'elle offre. Avant de se faire connaître en leur nom propre, Tyler the Creator et Frank Ocean se sont ainsi fait remarquer sous la bannière Odd Future Wolf Gang Kill Them All, dont la future star devrait être Earl Sweatshirt, sale gosse pour l'instant plus connu pour avoir été préventivement envoyé en pensionnat par sa mère que pour ses couplets dérangés. A$AP Rocky, lui, est le meneur de l'A$AP Mob, tandis que la bande de Kendrick Lamar et Schoolboy Q. porte le sobriquet de Black Hippy et que le Taylor Gang de Wiz Khalifa s'est rapidement structuré autour d'un label et d'une marque de fringues. À l'avenir, il faudra en plus compter avec les ghetto boys gothiques du Rvidxr Klan (surtout SpaceGhostPurrp, signé chez 4AD, maison indé de qualité s'il en est), les malicieux teenagers de Progressive Era (Joey Bada$$ en tête), Most Dope, Overdoz... De là à dire qu'on n'a pas fini d'entendre parler de ce renouveau, il n'y a qu'un pas de krump que l'on se gardera d'exécuter. Mais pas par défaut de conviction.

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