Rainbow warriors

Moodie Black + Oddateee + Cape Town Effects

Marché Gare

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Hollande, Italie, Angleterre, Allemagne, Suisse, Belgique... Pour son quinzième anniversaire, le Riddim Collision se fait plus cosmopolite que jamais. C'est toutefois en Afrique du Sud que le festival des «musiques alternatives» créé par le label Jarring Effects a déniché ses invités les plus excitants : les rappeurs intercontinentaux de Cape Town Effects et le pionnier de la bass music Sibot. Benjamin Mialot

Cette semaine, la Maison de la Danse accueille en résidence la compagnie Via Katlehong, fondée dans l'un des townships les plus insalubres de Johannesburg, la capitale économique de l'Afrique du Sud. Après elle, ce sera au tour de la chorégraphe Dada Masilo, elle aussi issue de l'une de ces zones résidentielles dans lesquelles, sous l'Apartheid, étaient parquées les populations à la peau un peu plus chargée en mélanine que celle des colons européens, d'investir le lieu pour une relecture black et gay du Lac des cygnes. Le label indépendant Jarring Effects, lui, profitera ce week-end du quinzième anniversaire de son festival, le Riddim Collision, pour présenter la concrétisation de Cape Town Effects, projet mené en étroite collaboration avec son homologue du Cap, Pioneer Unit. Coïncidence ? Aucunement. 

De Paris, où la Gaieté Lyrique déroule depuis la rentrée un panorama complet de la scène artistique contemporaine de Johannesburg, à Lans-en-Vercors, où le Hadra Trance Festival a fait l'été dernier de l'Afrique du Sud son invitée d'honneur, ils sont de plus en plus nombreux à porter leur regard le long des côtes australes du Continent noir. A raison : le pays traverse une intense phase de réinvention des formes, particulièrement sur le plan des musiques urbaines, donnant aux protest songs métissées de Johnny Clegg des airs d'hymnes pour villages de vacances – avis aux nostalgiques des pantalons imprimés, il se produit au Radiant-Bellevue samedi 9 novembre. Et ce depuis le début des années 2000

Colore le monde 


Depuis, en somme, que le pays a pu être en mesure de qualifier ses nouveaux-nés de «born free» (nés libres), comme l'explique Damian Stephens, co-manager avec la VJ Anne-Sophie Leens de Pioneer Unit : «Le climat d'oppression raciale dans lequel le pays baignait sous le régime de l'Apartheid a longtemps restreint l'accès à l'éducation, aux infrastructures culturelles, aux voyages... Aujourd'hui, en dépit du fait que cet héritage est encore très présent, les gens commencent à raconter leur histoire à leur manière, à utiliser leur créativité pour donner du sens à cette terrible période de l'histoire sud-africaine». Le kwaito, un dérivé de la house né dans les ghettos au début des années 90 et incorporant des éléments percussifs et argotiques typiquement sud-africains, est l'une de ces manières. Mais il est loin d'être la seule.

Car non contents de s'être approprié la combativité de Nelson Mandela, les rappeurs et producteurs qui placent aujourd'hui Johannesburg et sa rivale du Cap au cœur de la sono mondiale ont su faire leurs ses qualités de réconciliateur, résumées en son temps par Desmond Tutu via l'expression «Nation arc-en-ciel». Damian : «Il y a tellement de cultures différentes en Afrique du Sud qu'il est très difficile d'établir des généralités sur ce qui distingue notre musique. Mais je crois que c'est justement cette richesse, notamment linguistique : il existe onze langues officielles en Afrique du Sud, le xhosa, le sesotho, l'afrikaans, l'anglais... L'influence des instruments indigènes et des rythmes et mélodies traditionnelles contribue aussi au façonnement d'un son unique».

Un passage en revue des noms les plus exportables suffit à en prendre acte : rien de commun entre le hip hop joyeusement altermondialiste de SKIP&DIE et celui, trash et fêlé, de Die Antwoord, entre les scansions idéalistes de Tumi & the Volume et les invectives rageuses de Ben Sharpa, entre les macabreries funky de Spoek Mathambo (cf sa reprise du Control de Joy Division) et les transes bon marché de Shangaan Electro, entre le dubstep virtuose de Sibot (voir encadré) et la house sensuelle du manchot Black Coffee, si ce n'est cette capacité phénoménale à connecter – littéralement, la fin de la ségrégation s'étant accompagnée d'un désenclavement technologique – les dernières tendances du moment à leurs acquis babéliens. Mais gare à l'angélisme. 

Les blancs ne savent pas militer 


Sur place, le tableau n'est en effet pas aussi idyllique que voudrait nous le faire croire l'Institut Français, qui a décrété cette année une saison culturelle de l'Afrique du Sud. «Le niveau de pauvreté en Afrique du Sud est tel qu'il reste plus compliqué ici qu'ailleurs de se faire un nom. Ironiquement, il semble plus facile d'attirer l'attention hors de nos frontières qu'à domicile. Nous souffrons de cette croyance infondée qui veut que tout ce qui est "international" est forcément meilleur que ce qui vient de chez soi», déplore ainsi Damian, tout en s'inquiétant de la dépolitisation qui gagne son milieu, un facteur de nivellement par le bas qui s'avère autant un revers de l'accession de l'Afrique du Sud à la société de consommation qu'un atavisme : «L'électro et le hip hop sont majoritairement le fait de petits blancs privilégiés qui, même s'ils n'appartiennent pas à des familles aisées, ont grandi avec tous les bienfaits qu'un état raciste peut prodiguer : une bonne éducation, la liberté d'expression, la sécurité et, plus important encore, la croyance qu'ils peuvent accomplir tout ce qu'ils veulent».

Avant de poursuivre sur un manifeste : «La musique que nous produisons est politique, au sens où les gens avec lesquels nous travaillons ressentent au quotidien l'héritage négatif de l'Apartheid. Elle promeut la justice sociale, l'éveil politique, l'éducation et d'une manière générale l'élévation. Elle a toujours été en prise avec la situation du pays, du fait de nos limites structurelles». Ce "nous" désigne bien sûr Pioneer Unit. Mais il peut tout aussi bien désigner le travail que Damian mène, en tant que beatmaker et sous le pseudonyme de Dplanet, au sein de Cape Town Effects. 

Effet boeuf



Derrière ce nom-valise dont Jarring Effects a le secret, se cache un groupe d'électro-hip hop réunissant quatre MCs (Ben Sharpa, El Niño, Konfab et Jaak), trois producteurs (Dplanet donc, mais aussi Big Space et le beatmaker lyonnais Led Piperz, par ailleurs vidéaste d'High Tone), une chanteuse/violoniste (Tebz) et une VJ (la Anne-Sophie Leens précédemment mentionnée, dite spo0ky et originaire de Belgique). Monté de toute pièce au début de l'année 2013 avec la complicité de Pioneer Unit, Cape Town Effects marque l'aboutissement pour la structure lyonnaise d'une décennie de défrichage subsaharien, cinq ans après l'édition en partenariat avec African Dope, autre label alternatif du Cap, de Cape Town Beats, un coffret tout entier dédié à l'inventivité et à l'engagement sud-africains et, plus spécifiquement, aux prouesses mutantes de Sibot.

Un triple aboutissement même : discographique (Cape Town Effects donnant à entendre sur son album éponyme une musique typiquement post-Apartheid, i.e. autant futuriste et impactante dans sa forme qu'universelle et bon esprit dans son fond) ; cinématographique (grâce à Mother City Blues, documentaire d'Arno Biscthy saisissant l'énergie et l'instabilité qui tiraillent la société sud-africaine d'aujourd'hui via les portraits croisés de Konfab, Jaak et El Niño) ; et bien sûr scénique. Sur ce dernier point, si l'on en croit les dires de Damian, sa prestation promet d'être l'un des highlights du Riddim Collision 2013, pourtant pas avare en bêtes de scène (voir repères) : «Avec ce live, nous avons voulu faire en sorte que le public ressente vraiment la puissance et l'esprit de ces artistes. Jusqu'à présent, les retours sont fantastiques. Assez en tout cas pour que nous souhaitions aller encore plus. Je crois qu'il existe encore des tas de façons de faire entendre l'exceptionnelle créativité de l'Afrique du sud sur le marché européen». «Befok», comme on dit en afrikaaner. Cool quoi.


  
Cape Town Effects [+ Moodie Black + Oddateee]
, Au Marché Gare, vendredi 8 novembre

 

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Jeudi 18 juin 2020 On connaît bien par ici cet illustre pensionnaire du label lyonnais Jarring Effects, Grey Filastine, musicien et activiste américain autant que citoyen du monde, installé désormais à Barcelone. Moins peut-être son projet de tournée mondiale verte...
Mardi 24 septembre 2019 Enfin. Après près de quatre années de travaux et de vie cachée, Grrrnd Zero, squatt autorisé désormais localisé dans le quartier de La Soie, peut ouvrir grand ses portes officiellement, ayant recueilli toutes les autorisations nécessaires....
Vendredi 2 mars 2018 Andy Warhol, Marion Bornaz, Nicolas & Jean Jullien, Romain Etienne et Ben : voilà un name-dropping plutôt classe d'artistes à ne pas rater en mars.
Mardi 21 novembre 2017 Boss du studio Jarring Effects, aux manettes derrière nombre de disques de hip-hop, de dub ou d'électro, musicienne avec son projet abstrakt hip-hop Erzatz, Céline Frezza aime malgré tout rester dans l'ombre.
Jeudi 13 mars 2014 65 spectacles, 170 levers de rideau, des rendez-vous au TNG, à Gadagne ou à la Maison de la danse : les Nuits de Fourvière s'annoncent plus foisonnantes que jamais. Benjamin Mialot
Mercredi 30 octobre 2013 «T'as pas une gueule de porte-bonheur». Si l'on se retrouvait nez à nez avec Simon Ringrose dans une jungle tropicale, c'est sans doute ce qu'on lui (...)
Vendredi 1 mars 2013 Ne jamais employer l'expression "envoyer du gros". C'est l'une des règles élémentaires du journalisme musical. Comme toutes les règles, elle a son exception : on peut y recourir pour parler de bass music, cette frange souterraine et tonitruante des...
Vendredi 19 octobre 2012 On ne vous fera pas l'affront de vous traduire le nom d'Erotic Market, même notre bilingue d'ancien Président de la République aura compris. De toute manière, (...)
Jeudi 19 avril 2012 High Damage, comme son titre l'indique, c'est la rencontre, sous l'égide Jarring Effects, le choc, entre High Tone et Brain Damage. Ne pas s'attendre (...)
Vendredi 9 septembre 2011 Musique / De l’eau a coulé sous les ponts du Rhône depuis Fantasques Hits, la première compilation très «dub des pentes» de Jarring Effects sortie en 1998. Cent références plus tard, JFX a plus que déchiré cette étiquette. La preuve par cinq titres...
Vendredi 25 septembre 2009 Festival / Collision des rythmes et mutation des genres, le festival de Jarring Effects impose sa vision alternative de l’électro. Trois nuits en marge du confort et du conformisme au Marché de Gros. Stéphanie Lopez
Vendredi 12 décembre 2008 Le label lyonnais Jarring Effects entretient avec soin ce que l'on peut appeler sa filière sud-africaine. Ne surtout pas entendre par là de sombres (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X