Barlow fidelity

Sebadoh

Marché Gare

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Après un retour remarqué l'an dernier à la basse de Dinosaur Jr., Lou Barlow, roi des losers, revient cette fois avec Sebadoh, autre mythique trio indie rock des 90's. Reformé en 2007, presque une décennie après une première fin en eau de boudin, le groupe vient présenter "Defend Yourself", son premier album en quatorze ans. C'est sur la scène du Marché Gare et le dernier arrivé est fan de Phil Collins. Stéphane Duchêne

Le rock indé a parfois des airs de vaudeville. Les destins s'y font et se défont au rythme de portes qui claquent. Un membre sort, un autre entre, quelqu'un crie, une plainte s'élève, un groupe naît ou meurt, un autre se transforme. Et ainsi de suite. On peut du coup se demander comment Lou Barlow a fait pour traverser trente ans de carrière sans prendre un coup de froid sur la nuque à force de courants d'air. Sebadoh naît ainsi sur les cendres de l'ego d'un Loulou pulvérisé par le souffle violent de son éviction aussi soudaine qu'inexpliquée de Dinosaur Jr.

Heureusement pour lui, en compositeur frustré, il fomentait depuis sa chambre un projet parallèle dont il enregistrait les chansons – souvent magnifiques, toujours inaudibles – sur du matériel déplorable. Elles serviront à nourrir Forestin' Weed puis, une fois rejoint par Eric Gaffney, percussionniste et compositeur, The Freed Man. Deux œuvres réunies par Homestead Records sous le titre The Freed Weed en 1990. Barlow, amateur de mots qui n'existent pas, sort Sebadoh de son chapeau en guise de nom de baptême, fruit d'une volonté du groupe de ne pas être esthétiquement marqué par son nom.

Et voilà sur pied l'un des totems du rock indé, petit chaudron rouillé où crépitent la tension entre explosions électriques (Gaffney) et balades atrabilaires et/ou désespérées (Barlow). Il faut dire que depuis toujours, ce dernier voue un culte malsain à la lose dont il est, il est vrai, officieusement Prix Nobel. Un culte savamment entretenu avec Sentridoh, défouloir acoustique de ce Syd Barrett du Massachusetts au son si approximatif que Lou semble y jouer de la guitare avec un rabot à merde. Mais pour Sebadoh – rapidement rejoint par un troisième musicien, le multi-instrumentiste et compositeur Jason Loewenstein – c'est le temps de la pureté, du DIY triomphant et d'un je-m'en-foutisme révolutionnaire permettant au hardcore de fricoter sans honte avec la pop et le folk lo-fi. Les influences bruitistes de X, Sonic Youth, Hüsker Dü imprègnent une fausse nonchalance préfigurant Pavement. Mieux, leur Gimme Indie Rock aurait pu être le cri de ralliement d'une génération si au même moment Nirvana n'avait frappé à la porte.

Rubber Soul hardcore

Cela n'empêche pas Sebadoh d'aligner trois classiques imparables : d'abord III (1991), considéré, malgré la concurrence de Nevermind, comme l'une des pièces maîtresses de l'époque. Barlow dira de cet album, son préféré, qu'il est le plus proche de son Graal personnel : parvenir à croiser le Rubber Soul des Beatles et le punk hardcore. Viennent ensuite, chez Sub Pop, maison mère du grunge, Smash Your Head on the Punk Rock (1992), où figure Brand New Love, parfaite synthèse du style Sebadoh, puis Bubble & Scrape (1993), leur premier album entièrement réalisé en studio, où Barlow répand plus que jamais ses ruminations sur la culpabilité et la solitude dans le fracas électrique d'un Gaffney de plus en plus énervé.

En 1994, celui-ci claque d'ailleurs la porte (qu'il avait déjà prise une fois avant de revenir), rebuté tant par le virage esthétique qu'il pressent que par les contraintes du business. Mais aussi et surtout frustré que les médias ne s'intéressent qu'à Barlow (désolé, Eric). C'est Bob Fay qui le remplace pour l'enregistrement de Bakesale (1994). Porté par l'imparable Rebound, l'album pousse Sebadoh en tête de gondole de l'indie rock américain aux côtés de Pavement et autres Guided by Voices. C'est pourtant là, en pleine ascension, que Sebadoh commence à se déliter. Comme si Barlow et cie, indécrottables Original Losing Losers, avaient le plus grand mal à se transformer en Winning Losers, pour reprendre le titre de deux compilations de Sentridoh. Au vrai, Barlow se consacre de plus en plus à The Folk Implosion, énième projet parallèle (avec John Davis) qui le verra cartonner via Natural One et la BO du Kids de Larry Clark en 1995. L'année suivante, l'album Harmacy déçoit les fans – dont beaucoup regrettent le départ de Gaffney, gardien du bruit, de la fureur et du certificat d'authenticité punk.

Parenthèse désenchantée

De fait, Sebadoh n'est plus guère que la créature de Barlow – malgré l'implication impeccable de Loewenstein – dont l'inépuisable talent de songwriter court-circuite la profession de foi originelle du groupe. Après l'éviction de Bob Fay, remplacé par Russ Pollard, The Sebadoh (1999) est un chant du cygne. Son titre est ô combien révélateur d'un groupe qui se complaît dans le narcissisme et l'auto-caricature. De rupture, cette fois, il n'y en a pas vraiment. Personne ne prend la porte mais tout le monde est parti. Chacun vaque à ses occupations, ouvrant une longue parenthèse désenchantée dans l'indifférence générale.

Puis, en 2005, au moment même où sort son très beau Emoh, Barlow se réconcilie coup sur coup avec J Mascis – réintégrant Dinosaur Jr. – puis Gaffney et Loewenstein, jusqu'à reformer Sebadoh. Preuve que la quarantaine peut avoir du bon. S'ensuit une rafale de concerts qui donne l'impression qu'on les a quittés la veille et permet de patienter jusqu'en 2013 et un premier album en quatorze ans, Defend Yourself. Là encore, Sebadoh, à nouveau déserté par Gaffney mais cette fois en bons termes, reprend les choses où il les avait laissées – et même bien plus haut qu'en 1999 : compositions partagées, tournantes d'instruments, écriture toujours aussi poignante, sans plus rien avoir à prouver à la secte indé. Le plaisir, juste le plaisir, de constater que si les potards sont dans le rouge, les feux sont au vert. Et que si la porte est grande ouverte, elle ne claque plus.

Sebadoh
Au Marché Gare, lundi 27 octobre 

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