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Jean-Jacques Burnel : « les Stranglers avaient un bouton autodestruction incorporé »

The Stranglers

Transbordeur

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Rock / Les Stranglers sont une énigme. Ayant toujours tout fait à l'envers, provoqué absolument tout le monde, jamais respecté le dogme punk, fait un tube énorme avec une valse, ils sont pourtant toujours là 45 ans après leur création, dans le sillage de leur bassiste-leader, le turbulent Jean-Jacques Burnel. À l'occasion de la venue des Stranglers au Transbordeur, la légende vous parle.  

En tant que dernier membre original des Stranglers, vous sentez-vous comme le gardien du temple ?
Jean-Jacques Burnel : (Rires) Un peu oui, parfois. Heureusement, Baz Warne est maintenant le chanteur du groupe depuis presque vingt ans. Il est mon petit dauphin. C'est un peu comme le passage de flambeau d'une certaine éthique et d'une certaine façon de faire de la musique. Mais c'est vrai, je suis le capitaine Nemo des Stranglers, je suis le dernier, tous les autres sont enterrés (sic).

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The Stranglers est le seul groupe punk à être toujours debout et à n'avoir jamais disparu. Pouviez-vous imaginer il y a 45 ans, dans l'effervescence no future du punk, que vous seriez toujours là en 2021 ?
Évidemment qu'on n'imaginait pas ça. À l'époque, si on rêvait d'avoir un peu de succès on savait que ça ne pouvait pas durer, simplement parce que les groupes n'existaient pas si longtemps. Cette éventualité était un territoire inexploré. On était gosses et on n'avait pas idée qu'un groupe pouvait durer si longtemps.

Surtout pas les Stranglers...
Surtout pas nous parce qu'on avait un bouton "autodestruction" incorporé.

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Il y a toujours eu une sorte de controverse pour savoir si vous étiez de vrais punks ou pas.
Déjà on a duré bien plus longtemps que le punk. Mais il y a une explication à ce débat : à un moment on a été ostracisés par nos collègues punks. À cause d'une bagarre ridicule entre moi et Paul Simonon du Clash devant tout le monde : la presse anglaise, les autres groupes. Tout le monde a pris partie pour eux contre nous. Il y a aussi le fait qu'on vendait plus de disques que les Sex Pistols ou le Clash à l'époque. Enfin, en 1976, on a été choisi pour représenter Londres aux célébrations du bicentenaire de l'indépendance américaine avec les Ramones et les Flamin' Groovies – Joe Strummer du Clash en aurait pleuré –, pour une première partie de Patti Smith aussi. Et on avait un clavier dans le groupe et il y avait une nouvelle orthodoxie – je ne sais pas qui a créé ces règles – qui disait : pas de clavier ! Et surtout pas de synthé. Trois ans plus tard, commençait la décennie du synthé... On était en avance là-dessus. On nous a donc ostracisés pour toutes ces raisons. C'était un peu désolant sur le moment mais ça nous a permis de ne pas suivre qui que ce soit, aucun mouvement, et d'évoluer musicalement à notre façon.

Mais vous, vous sentiez-vous punk ? Dans l'attitude vous l'étiez sans aucun doute...
Oui, bien sûr. Quand on a commencé à jouer dans les pubs, déjà il y avait des bagarres. D'ailleurs, les Pistols, Joe Strummer, Chrissie Hynde, The Damned, venaient tous nous voir jouer au début, avant même de former leurs propres groupes. Personnellement, je m'identifiais complètement au punk, j'aimais l'attitude, la liberté, le look : j'avais la tête rasée avant même que tout le monde se coupe les cheveux – quelques mois avant le punk, tout le monde avait encore les cheveux longs –, une veste en cuir parce que j'étais motard et des Doc Martens parce que j'en portais depuis l'âge de 16 ans.

Vous avez été nourri au blues dans les pubs et les salles du Surrey, comment êtes-vous passé du blues aux "Men in black" [l'un des surnoms des Stranglers], du blues au rock et au punk rock ?
Musicalement, j'étais un peu snob quand j'avais quinze ans et je le regrette. Je méprisais un peu mes potes qui écoutaient de la soul music, du ska ou du reggae. Mais dans mon village, il y avait un pub qui accueillait de nouveaux groupes du British blues boom comme Fleetwood Mac – que j'ai vu devant cinquante personnes –, Chicken Shack de Christine Perfect, la future femme de John McVie de Fleetwood Mac, Free... Je les voyais tous les dimanche soir et ça m'a beaucoup influencé à l'époque. Mais mes influences débordaient de beaucoup le blues, j'étais comme un papier absorbant. Je dois ça à mes parents. Petit, j'habitais à Notting Hill, à un quart d'heure de marche du Royal Albert Hall. Mes parents m'emmenaient en poussette écouter de la musique sud-américaine, voir des ballets russes ou géorgiens ; il y a eu aussi la musique française : Bécaud, Brel, Brassens, Aznavour, Juliette Gréco. Quand on a formé le groupe, Jet Black [batterie] venait du jazz, Dave Greenfield [claviers] était un fanatique de rock progressif, ça fait un mélange qui a donné assez naturellement The Stranglers. Moi, en tant que compositeur principal des Stranglers, d'abord avec Hugh Cornwell [chant, guitare], ensuite avec Baz, j'ai toujours cherché à puiser dans l'énorme palette de musiques qui m'inspire. Pourquoi se limiter à un style ?

Justement, chez les Stranglers il y avait la constance du son mais vous réinventiez votre style musical à chaque fois...
Quand on fait de la musique, on cherche à enregistrer. Si on enregistre, on a envie d'avoir du succès. Le problème du succès c'est qu'il est séduisant, c'est une sirène qui cherche à vous attirer, surtout quand on y a goûté. Le danger c'est alors de se répéter ou de chercher à suivre une recette. J'ai toujours trouvé ça malsain et j'ai toujours voulu expérimenter. Souvent, je me suis cassé la gueule mais de temps en temps ça a marché. Quand on a sorti Golden Brown, la maison de disque n'en voulait pas. Parce que ça ne ressemblait à rien, c'était une sorte de fausse valse au clavecin. On a insisté évidemment, le single est sorti et ça a été un succès mondial. Du coup, la maison de disques nous a demandé de faire Golden Brown 2. On leur a donné un morceau de six minutes en français (rires). La vie est trop courte pour jouer la sécurité. À mon âge, je peux me retourner sur les disques et me satisfaire d'avoir été fidèle à moi-même, de ne pas avoir succombé à la dictature commerciale.

On vous a qualifié de sexistes, de fascistes, d'anarchistes, de racistes... vous étiez surtout mal compris, n'avez-vous pas eu parfois l'impression d'être allé un peu loin dans la satire et le second degré avec cet humour anglais que même les Anglais ne comprenaient pas ?
C'est tout à fait ça. Il faut dire qu'on a beaucoup joué avec ça : plus on nous attaquait, plus on se justifiait et plus on se ghettoïsait. Ce qui renforçait encore davantage les préjugés à notre encontre.

Votre musique donnait l'impression d'être celle d'hommes en colère. L'étiez-vous réellement où était-ce du folklore ?
Non, nous étions en colère. Je l'ai été pendant très longtemps parce que j'ai grandi à l'école royale et, croyez-moi, ce qu'on vous y fait subir vous met en colère : les coups de canne pour un rien, dont j'étais le recordman absolu et après lesquelles il fallait dire « merci »... Quand il y avait des règlements de compte dans la cour, on faisait ça devant toute l'école avec des gants de boxe à 16h avec le professeur de rugby pour surveiller la bataille. Je ne voulais qu'une chose c'était être accepté et j'ai appris que pour être accepté en Angleterre, il fallait battre les autres, académiquement et dans la cour.

C'était aussi l'attitude que vous aviez avec le groupe...
Oui, absolument. Mais ça ne m'arrive plus aujourd'hui, heureusement.

Comment garde-t-on le feu sacré quand votre passion de jeunesse est devenue un métier ?
C'est une bonne question, qui se pose tous les jours. J'aurais pu renoncer, c'est vrai. J'ai sans doute failli parfois. Je ne sais pas s'il y a une formule. C'est juste que j'aime beaucoup faire ce que je fais et je le fais à mon rythme. Tant que je peux voir des humains devant moi et communier avec eux, voir le plaisir sur leur visage en jouant notre musique... Il n'y a rien de mieux, c'est un privilège.

Y a-t'il autant de plaisir qu'au début ?
Beaucoup plus. Mais le plaisir est très différent de quand j'étais jeune. À l'époque du punk, j'étais un jeune homme, je découvrais les filles parce qu'à l'école il n'y en avait pas. Aujourd'hui, il n'y a plus les filles, le plaisir est différent mais il est bien plus grand.

Plus précisément, c'est quoi être un groupe de rock à l'heure des réseaux sociaux, du streaming, de toutes ces nouvelles manières d'écouter ?
Le streaming, c'est horrible. Les gens ne gagnent presque rien sur le streaming, les artistes en général mais surtout les jeunes. C'est un scandale. L'autre problème c'est que les gens, c'est prouvé scientifiquement, ont beaucoup moins de capacité d'attention qu'avant. Ils ne veulent pas écouter un album pour se perdre, ils veulent les choses tout de suite, ils n'ont pas le temps. Mais je suis old school alors on a sorti un album [Dark Matters, en septembre dernier] – on a d'ailleurs vendu tous les vinyles – parce que je voulais proposer un petit voyage aux auditeurs, pas juste trois chansons qui parlent de cul. Les autres peuvent faire ça, moi je veux amener les gens ailleurs.

The Stranglers ont vendu 40 millions d'albums, eu 23 Top 40 singles, 17 Top 40 albums, mais vous dites qu'ils n'ont jamais été vraiment respectés à leur juste valeur ? Pourquoi ?
Il faut demander aux gens qui ne nous respectaient pas (rires). Mais j'ai l'impression que les gens nous voient un peu autrement. Peut-être parce que je ne leur fais plus peur (rires). Ils peuvent m'apprécier différemment.

Quelle ambition musicale aviez-vous pour Dark Matters dont le premier titre, Water, est une vraie réintroduction à l'univers des Stranglers, comme si rien n'avait bougé ?
Je n'avais pas d'ambition particulière. Juste écrire des morceaux pertinents, raccords à notre zeitgeist, et garder l'attention de l'auditeur. Après, c'est l'histoire qui décide.

Jet Black est à la retraite, à cause de sa santé notamment [il a 82 ans], Dave Greenfield est mort du Covid l'an dernier alors que vous réalisiez cet album. Ce disque pourrait-il être le dernier ?
Vous savez, je pense que chaque album sera le dernier...

Alors, comme vous vous dites que chaque album sera le dernier on peut penser que Dark Matters ne sera pas le dernier.
Bien vu (rires). Non, vraiment je ne sais pas. Je pense que ça pourrait être le dernier mais qui sait ?

Où en est le projet de film autour du groupe qui avait été annoncé en 2019 ?
Hugh Cornwell [démissionnaire en 1991 pour divergences de vues] a mis son veto pour les droits. On attend sa mort (sic) ou que la décision qui a été rendu dans le cas des Sex Pistols fasse jurisprudence [John Lydon tentait d'interdire la réalisation d'une série biopic de Danny Boyle mais a été débouté]. On verra mais ce n'est pas urgent même si c'est un beau film documentaire.

Vous vivez en France désormais, en tant que Britannique d'origine française vivant en France...
Je vous arrête, je ne suis pas un Britannique français vivant en France, je suis un pied-blanc. En France, vous avez vos pieds-noirs, moi je suis un pied-blanc (rires)...

vous êtes aussi un européen convaincu puisque vous avez publié en 1979, un album solo sur l'Europe, Euroman Cometh, où vous prôniez déjà la réunification de l'Allemagne, comment avez-vous vécu le Brexit et ses conséquences ?
Mal. Il a été dit beaucoup de bêtises, on nous a vendu des mensonges. Les Russes étaient derrière beaucoup de ces informations, ils ont de véritables usines à trolls qui disséminent les fausses informations et la division en Occident, comme ils l'ont fait aussi aux États-Unis. C'est une façon de déstabiliser l'Ouest. Je crois qu'un des problèmes, c'est que les gens oublient trop facilement que nous vivons en Europe de l'Ouest la plus longue période de paix de l'Histoire. Ils prennent ça comme acquis et ça ne l'est pas, le monde devient de plus en plus dangereux. OK, ils ont des griefs contre Bruxelles, les règles, la bureaucratie mais sont-elles pires que la désunion et la guerre ? Je pense que les Britanniques vont essayer de faire au mieux avec les conséquences du Brexit mais le monde a besoin d'être uni, pas retranché en tribus. S'il fallait revoter aujourd'hui, en toute connaissance de cause, le résultat du référendum serait bien différent.

Une question sur votre première passion : avant les Stranglers vous vous rêviez en karatéka et vous êtes devenu une sommité mondiale en la matière. Que vous a apporté cette discipline dans votre carrière musicale – en dehors d'un certain ascendant dans vos nombreuses bagarres, bien entendu ?
En dehors de la forme physique, une résilience mentale. Ça calme l'esprit, ça donne une certaine confiance. D'ailleurs puisque vous êtes de Lyon, un de mes premiers héros quand j'étais gosse, c'était un type qui s'entraînait à Lyon et s'appelait Dominique Valera. Il est d'ailleurs toujours en vie. C'est une légende, un type un peu bad boy à une époque mais ça faisait partie de son charme. Les arts martiaux ça donne une épine dorsale, ça finit par faire partie de nous. Ça m'a permis au fil des années de gérer les critiques, ce que je n'arrivais pas trop à faire au début des Stranglers. Aujourd'hui, je m'en fous, c'est grâce au karaté.

The Stranglers
Au Transbordeur le jeudi 2 décembre

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