«Signe particulier : je flippe»

Entretien / Hyperactive, Sylvie Testud vole d'un projet au suivant, en ne se retournant pas sur le passé. Elle qui a «tout le temps peur» et ne se prend pas souvent au sérieux est actuellement à l'affiche de La Pitié dangereuse, au Théâtre de la Croix-Rousse. Rencontre. Propos recueillis par Dorotée Aznar

Au cinéma, vous enchaînez les longs-métrages. Quelle place accordez-vous au théâtre dans votre carrière ?Sylvie Testud : J'ai fait assez peu de théâtre. D'ailleurs, je ne pourrais pas faire du théâtre tout le temps. Je trouve que c'est très sportif, presque olympique. Je n'ai jamais été plus fatiguée que quand j'ai fait La Pitié l'an dernier. En revanche, c'est comme une grande récréation qui appelle l'insolence. Sur un plateau, il n'y a pas le bruit de la caméra, le perchiste, les techniciens. Sur une scène de théâtre, seuls les comédiens maîtrisent le temps et l'espace. Le théâtre est un mélange de très grande contrainte et de grande liberté : pendant une heure et demi, personne ne peut rien faire. Sauf le public, s'il se met à crier que c'est à chier... sinon, on a un pouvoir dingue. C'est pas très bon pour l'ego, je pense que c'est une très mauvaise thérapie pour les acteurs ! Le théâtre est un exercice difficile pour vous ? C'est beaucoup plus fatigant que le cinéma. Au ciné, ce sont des longues journées de travail alors qu'au théâtre, c'est un fil tendu, un exercice d'une heure trente. Attention, je ne dis pas que le cinéma, c'est beaucoup plus facile. Je déteste le discours des acteurs qui ne font pas beaucoup de cinéma et qui disent que ce n'est pas très compliqué puisque quand c'est mauvais, on peut reprendre. C'est injuste de dire des trucs pareils. Planter une prise, c'est grave. Au cinéma, on peut aller dans un détail en prenant un risque immense. Sur une scène de théâtre aussi, mais il faut en assumer les conséquences. Je crois qu'au théâtre je prends des risques. D'ailleurs, si un jour je me plante, je me planterai en beauté et pas un peu !Comment choisissez-vous vos rôles au théâtre ?Ce n'est pas facile de répondre à cela. On ne sait pas pourquoi on est attiré par les choses. C'est un appel, un sentiment qui se situe entre le début de compréhension et le fait de ne pas tout comprendre. L'envie d'aller voir plus loin. Si je comprends tout, je n'y vais pas. Si je ne comprends rien non plus ; il y a un équilibre à trouver. C'est un rapport entre l'univers que l'on me propose et moi. Il faut qu'il y ait un petit chemin à parcourir car si c'est trop proche de moi, cela ne suscite pas mon intérêt. Il faut qu'un mon rôle m'excite. J'ai besoin qu'on ait envie de moi, que je fasse réellement partie du projet et pas que je sois un élément en plus, qui fait joli sur une affiche ou sur une scène. Je n'aime pas le casting pur.Vous avez besoin d'apporter une plus-value à un personnage. Que pensez-vous donner au personnage d'Édith dans la Pitié dangereuse ?Un côté sagouin... J'espère quand même que c'est plus que cela, mais j'ai l'impression d'avoir un côté spontané, même si c'est le résultat d'un travail. Dans ce texte qui est assez classique, assez droit, je cherche la limite, le déhanché vers le contemporain.Connaissiez -vous déjà l'œuvre de Stephen Zweig et vous sentez-vous proche du personnage d'Édith ?J'ai lu ce roman quand j'étais adolescente mais je ne me souvenais pas qu'Édith était handicapée. Je m'en souvenais comme d'une histoire d'amour. Quand Philippe Faure (le metteur en scène de La Pitié dangereuse, NdlR) m'a envoyé le texte, je me suis dit : «merde, elle est handicapée». Pour moi, c'était une bonne base de travail. Je ne voulais pas jouer la femme handicapée, mais simplement une femme qui aime et qui n'est pas aimée en retour. J'imagine ce sentiment d'impuissance que l'on a quand l'enveloppe corporelle ne va pas avec ce qui est à l'intérieur. Dans le texte, une grande sensualité se dégage d'Edith. Normalement, le lieutenant devrait craquer. Sauf que la société la répertorie comme une femme asexuée. Le type ne pense pas à elle, le fait qu'elle ne puisse pas marcher l'élimine automatiquement des candidates potentielles. C'est comme si le type lui disait «avec toi, je peux tout me permettre, il ne se passera rien puisque tu es dans un fauteuil roulant». Attention, je ne me pose pas en moralisatrice, je me suis demandé si j'aurais réagi comme cet homme, et je pense que oui. J'aurais a priori moins de mal à me mettre à poil devant un homme en fauteuil qu'un homme qui est debout sur ses jambes. C'est idiot, mais c'est induit qu'il ne se passera rien. C'est d'une injustice totale...Comment avez-vous été dirigée ?Philippe Faure n'a pas d'a priori, pas de convention et ça c'est bien passé tout de suite entre nous. Il se débarrasse plutôt de ce qu'il n'aime pas, mais il n'impose pas pour arriver à son but. Cela permet de découvrir des choses que l'on n'avait pas anticipées, de découvrir des choses en nous, que l'on n'a pas fait sortir avant... Vous voyez ce que je vous disais, c'est mauvais pour l'ego...Vous parlez souvent de votre peur de commencer de nouveaux projets. Pourtant, vous enchaînez les tournages, la scène, l'écriture... On pourra même voir votre mise en scène de Gamines en mars, au théâtre de la Croix-Rousse...J'ai vraiment beaucoup le trac, sur ma carte d'identité, on pourrait écrire, : «signe particulier : je flippe». Je n'aime pas décider, j'attends souvent que l'on me propose des choses. Avec Philippe, on voulait travailler ensemble. J'ai adapté Gamines pour la scène, je vais maintenant le monter et je me dis que ça ne peut pas être foncièrement mauvais... Il y a toujours mille raisons de ne pas faire les choses. Alors certes j'ai peur, mais je me lance.Après quinze ans de carrière, peu d'actrices françaises continuent à garder un tel rythme de travail...Effectivement, et c'est bien là la question. J'ai travaillé avec Clovis Cornillac qui monte dix projets en même temps. Plein d'autres acteurs, comme Edouard Baer, bossent comme des tarés. Mais il y effectivement peu de femmes qui suivent un tel rythme. Moi, j'ai peur de m'enterrer, j'ai besoin de passer d'un projet à un autre. Je pense que cela surprend uniquement parce que je suis une femme ! Sylvie TestudLa Pitié dangereuseAu théâtre de la Croix-Rousse, jusqu'au 18 novembreRencontre pour son roman GaminesÀ la librairie Passage, le vendredi 10 novembre à 14h30

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