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Quand on arrive en livre !

Planchon se dérobe

Nécro / Roger Planchon est décédé mardi 12 mai, à 77 ans, succombant à une crise cardiaque. Retour sur un parcours exceptionnel.

Il est presque mort sur scène. Jusqu'au 19 avril dernier, Roger Planchon jouait encore dans sa dernière création «Amédée ou comment s'en débarrasser d'Eugène Ionesco». Décor de velours, bête immonde (le fils !) cachée dans les appartements d'un vieux couple qui radote, cette mise en scène n'avait pas l'apanage de la fraîcheur mais qu'importe. Planchon ne vivait que pour le théâtre, son besoin viscéral d'être sur les planches était plus que palpable. Tout jeune, à même pas 20 ans, il s'extirpe de son enfance rurale (dans la Loire puis l'Ardèche) et décroche un concours de théâtre amateur ; à 22 ans, il crée le théâtre de la Comédie à Lyon. Son histoire s'ancre alors dans la Capitale des Gaules et à Villeurbanne.
Chantre de la décentralisation presque malgré lui, Roger Planchon hérite en 1972 de la direction du Théâtre National Populaire (TNP) parisien de Jean Vilar lorsque ce dernier est transféré à Villeurbanne dans les murs du Théâtre de la Cité que Planchon dirige déjà depuis 1957. Acteur, metteur en scène, dramaturge, il pratique le «théâtre total», selon la formule de Vitez. Il monte Brecht qu'il rencontre dans les années 50, mais aussi des pantomimes, Molière, une version raccourcie de Par-dessus bord de Michel Vinaver, Marivaux, Hölderlin et tant d'autres... Boulimique de théâtre et de textes, il se fait plaisir et transmet cette énergie parfois avec ses propres textes comme ce «Cochon Noir» monté au TNP à l'orée des années 2000. Cette farce paysanne laisse entrevoir ses origines modestes et son cheminement pour arriver à la tête de l'une des plus importantes salles de théâtre français, un peu à la manière de l'ouvrage de photos «La Ferme du Garet» de Raymond Depardon. Au cinéma, Planchon regrette de ne pas rencontrer le succès critique et public avec «Louis l'enfant roi» ou encore «Toulouse-Lautrec». Après avoir lâché les rênes du TNP en 2002, il continue à travailler avec sa propre compagnie. Il met notamment en scène un Jackie Berroyer inattendu et sombre dans «S'agite et se pavane» de Bergman, une pièce sur l'angoisse de la folie et la certitude de la mort. Suivront des adaptations de Pinter, Thomas Bernhard ou un «Oedipe à Colonne» étrangement modernisé.
À l'automne dernier, comme un jeune homme, il avait encore des projets plein la tête et notamment celui de s'investir plus dans la transmission de la création artistique via une école, lui qui avait déjà créé Rhône-Alpes Cinéma en 1990. Nadja PobelRetrouvez un entretien accordé par Roger Planchon au «Petit Bulletin» en février 2005 :
PLANCHON, HIER ET AUJOURD'HUIÀ 73 ans, Roger Planchon présente conjointement une autobiographie et un ultime spectacle pour le TNP. L'occasion d'une rencontre au passé, au présent et même au futur.
Propos recueillis par CCPetit Bulletin : Il y a chez vous une grande fidélité à votre manière de faire du théâtre. Comment cette "éthique"-là a traversé le temps ?
Roger Planchon : Ou je donne une réponse très simple, ou j’en donne une très compliquée. C’est vrai, j’ai essayé de maintenir la même ligne pendant des années, des années et des années. Je suis un des rares metteurs en scène aussi droit sur ce plan. J’ai toujours essayé de faire des spectacles populaires, même quand c’était un texte difficile. Mon père et ma mère ne savaient pas lire et j’ai toujours souhaité que, s’ils viennent au théâtre, même si Shakespeare leur passe au-dessus de la tête, il y ait un travail suffisant sur les costumes, les ambiances, que l’histoire soit populaire, simple, qu’on puisse rentrer dedans. En tout cas, qu’on ne se paye pas leur tête. D’ailleurs, quand la pièce est un peu plus difficile, je fais encore plus d’efforts pour la rendre simple. Effectivement, c’est une éthique. Avant même les problèmes d’esthétique, il y a une question d’éthique.C’est d’autant plus impressionnant que votre carrière croise toutes les métamorphoses du théâtre. Comment avez-vous résisté à ces évolutions ?
Je ne sais pas. J’ai un côté paysan têtu. Je ne sais pas répondre à cette question ; je n’ai pas eu l’impression de résister… Enfin si, j’exagère un peu. Mais bon, je m’étais fixé une ligne et je m’y suis tenu. D’ailleurs, ça a conquis des publics d’âge différent à des périodes différentes.Vous avez dans le livre des mots assez durs vis-à-vis de certains courants du théâtre, le théâtre minimaliste notamment…
Non, non. Je constate simplement que les gens qui font du théâtre minimaliste ressemblent à ces gens très chics qui portent des costumes débraillés. J’ai toujours dit que le public populaire n’aime pas du tout qu’une princesse soit habillée en souillon. Ce public sait qu’il y a tricherie. Je dis juste que je suis plutôt du côté des démunis que de ceux qui ont été élevés dans la soie. Enfin, ce n’est pas mon esthétique…Ce que vous reprochez aux différents mouvements théâtraux, ce sont plutôt leurs excès…
Oui, en effet. Mais je n’ai rien contre, il y a des spectacles minimalistes que j’adore. Je pense que le théâtre a deux cancers : quand il devient du théâtre de propagande et quand il devient purement formaliste, quand on met des formes, qui peuvent être plaisantes, mais qui ne servent à rien. Je cite dans le livre quelque chose qui n’est pas du théâtre : le spectacle d’inauguration des Jeux Olympiques. Ils ont vu défiler des Dieux et des héros grecs, mais ils n’ont rien appris. N’importe qui ferait un compte-rendu même enfantin d’Œdipe, Antigone ou d’autres, apprendrait quelque chose sur la vie. Quand on est dans le formalisme pur, on fait défiler les images, et les gens sont contents. Mais ça ne dit rien.Vous fustigez aussi les excès de la distanciation brechtienne…
Oui, j’ai bien connu ça, jadis…N’est-ce pas en fait le moment où le théâtre devient un système qui vous indispose ?
Absolument. Brecht est un metteur en scène qui m’a beaucoup impressionné. Quand il surgit en 1950, c’est un tableau de Van Gogh dans une exposition de 1880 : on n’avait jamais vu ça. Ce qu’on ne savait pas, c’est qu’il avait travaillé depuis 1930, et qu’il avait réfléchi à un art pendant des années, jusqu’à ce qu’il ait tous les moyens entre ses mains pour faire ce théâtre qui est la vitrine de l’Allemagne de l’Est. Il va proposer des spectacles qui vont être joués pendant un an et qui sont de pures merveilles. Pour moi, c’est un des plus grands metteurs en scène. Je n’ai jamais eu de critiques à lui adresser en tant que metteur en scène, alors que je suis réservé sur certaines de ses pièces. Évidemment, quand ça a surgi, j’ai été très impressionné, et j’aurais aimé reconstituer une mise en scène de Brecht. C’était un maître, point. Et à l’époque, il y a eu des choses folles : des gens qui n’avaient même pas vu de mises en scène de Brecht, qui ont lu uniquement les textes théoriques, ont inventé une esthétique complètement folle, où les comédiens jouaient figés, sans aucun humour, alors que les spectacles de Brecht étaient toujours drôles. Évidemment, je me moque un peu de ces gens-là, même si parmi eux, il y a des copains.Le titre, «Apprentissages», laisse à penser que vous avez toujours cherché à apprendre… Et en même temps, le sous-titre «Mémoires» suggère qu’il y a des choses à transmettre…
Le sous-titre n’est pas de moi. Je voulais un sous-titre moins prétentieux : «Apprentissages, foutaises et parenthèses». Les Éditions Plon n’ont pas trouvé ce titre très sérieux, et voulaient appeler ça «Mémoires». Je me suis battu pour qu’il reste «Apprentissages».Cependant, cette idée de transmission est quand même dans le livre, puisqu’il est adressé à votre petite-fille… Comment concevez-vous cette transmission de votre œuvre théâtrale ?
Je ne suis pas un pédago. Je l’ai été avec les acteurs avec qui j’ai travaillé. Mais je n’ai jamais donné de cours de théâtre, sauf huit jours, où j’ai appris justement que je n’étais pas un pédago. J’ai commencé à travailler avec un élève, et j’avais envie de monter la pièce. Par contre, en travaillant avec les acteurs, je donne tout ce que je peux savoir. J’ai fait des centaines et des centaines de discussions avec eux…On sent qu’il y a chez vous un besoin vital d’être au contact de la scène et des planches…
C’est vrai. Je suis un vrai chef de troupe. Je vis aux répétitions, tout le reste m’ennuie. Les comédiens se lâchent aux répétitions, beaucoup plus qu’aux représentations. D’ailleurs, si je pouvais m’en passer…Même quand vous jouez dans vos spectacles ?
Oui, parce que les répétitions s’arrêtent. Pendant des années, je faisais la création d’une pièce, et le lendemain, j’en attaquais une autre, on commençait les répétitions. On peut faire ça avec une troupe. C’est pareil pour le cinéma : les repérages, le découpage, le montage, c’est beaucoup de joie, autant que le tournage…Pour revenir sur cette idée d’apprentissage, d’où tirez-vous cette envie d’apprendre encore ? En montant des textes qui n’ont pas encore été montés, en travaillant avec de nouveaux comédiens ?
C’est une disposition d’esprit. J’ai été ignare, j’ai tout fait pour ne pas aller à l’école, j’ai réussi d’ailleurs, je suis une réussite exemplaire d’échec scolaire. Mais le jour où j’ai compris que c’était l’inverse, je suis rentrée dans une boulimie, et je l’ai gardée. J’ai gardé cette joie de découvrir des choses. Parfois c’est un texte, un livre que je n’ai jamais lu, un film… Je continue d’aller au théâtre, je suis capable d’aller me taper en quinze jours dix pièces.Dans le livre, vous racontez votre découverte de Citizen Kane d’Orson Welles. Je me suis demandé si vous étiez allé jusqu’au bout de l’importance que ce film a eu sur vous. Au-delà du choc esthétique, n’y a-t-il pas eu une identification au personnage de Kane ?
Je ne crois pas (rires). Évidemment, ce qui vous fait dire ça, c’est que j’ai fait plusieurs choses dans ma vie, et toujours parallèlement. J’ai été acteur, auteur, metteur en scène, et je suis un entrepreneur. J’aimerais être interviewé par des revues d’entreprises, et pas seulement par des journalistes de culture… Mais je suis un curieux entrepreneur, puisque j’ai fait des choses comme Rhône-Alpes Cinéma, une société de production qui a fait 140 films, et j’étais bénévole. Si j’étais Kane, il faudrait que j’achète des tableaux ou des choses comme ça. C’est l’inverse, pour faire Rhône-Alpes Cinéma, j’ai donné mon argent personnel. Pour faire Villeurbanne, j’ai donné le bistrot de mon père. Mais je suis un entrepreneur : j’ai ouvert un studio, j’aimerais en ouvrir un autre. Pas pour moi, je m’en fous, je m’en détache complètement. Mais parce que j’aime ça, profondément. D’un côté, ça donne confiance aux gens qui ont le pouvoir, et de l’autre ça les effraie, ils disent : "C’est l’empire Planchon qui grandit". C’est pas vrai. À 73 ans, qu’est-ce que j’en ai à foutre de l’empire… C’est pour mon plaisir : je m’amuse avec le théâtre, le cinéma, l’écriture. Quand on a commencé à Lyon, il n’y avait pas d’Auditorium, de Maison de la Danse. Alors j’ai pris les choses en main : j’ai fait des concerts, de la danse, du jazz, des spectacles de variétés. Quand il y a eu l’Auditorium, j’ai laissé tombé complètement. Si demain, il y a douze studios de cinéma qui se créent à Lyon, je ferai autre chose. Mais j’aimerais bien, avant de crever, voir la Région s’engager résolument dans l’image. Je suis persuadé que la demande de l’image sera de plus en plus importante. L’avenir, c’est d’investir dans trois hangars, c’est rien du tout, c’est des petites sommes, et ça rapportera beaucoup d’argent. Si demain il y a trois studios à Lyon, des grands films viendront se tourner ici, des films américains. Les officiels y vont, mais en traînant des pieds. Dans le livre, je dis que les gens qui avaient une idée claire de l’avenir des provinces françaises en 1945, c’était Gignoux, c’était Dasté. C’était absolument pas les politiques. De la même façon, je dis que les élus sont aveugles, qu’il faut miser sur l’image, et que les régions et les villes qui auront misé là-dessus seront à la pointe de l’Europe.C’est en apprenant que Welles avait fait du théâtre avant de tourner «Citizen Kane» que vous avez décidé d’en faire à votre tour. Le cinéma n’est-il pas devenu alors le rosebud de Roger Planchon ?
Quand j’ai commencé à faire du théâtre, j’étais couvert de dettes. J’ai tout payé, mais je me suis retrouvé à 50 ans en n’ayant pas fait le cinéma que je voulais faire. Mes producteurs de cinéma sont fous de rage que je fasse du théâtre, ils ne comprennent pas. Ils me disent : "Vous gagnez plus d’argent en faisant du cinoche, vos films font 800 000 entrées, ils sont vendus dans une trentaine de pays…". Ils ne comprennent pas pourquoi je continue ces conneries de théâtre. Donc, ce que vous dites est vrai.C’est ce qui était très émouvant dans «S’agite et se pavane», ce côté très autobiographique : on veut faire du cinéma, mais on finit par faire du théâtre…
Vous avez raison. C’est assez autobiographique. La première représentation de cinéma se termine par du théâtre…Dans toutes vos dernières créations, on sent que vous y mettez une dimension très personnelle, que vous vous livrez beaucoup…
Oui. Quand j’ai su que je faisais ce livre, je n’ai pas voulu faire deux choses : dire que j’ai rencontré untel, untel. J’ai rencontré des dizaines de ministres, de chefs de gouvernement, les plus grandes stars françaises, et je ne cite personne, pour éviter le côté réaliste. Je me suis posé la question : "Qu’est-ce qui peut intéresser quelqu’un avec ça ?". Et en fait, cela revient à me demander "Qu’est-ce qui m’a intéressé dans le théâtre ? Pourquoi j’ai fait ces pièces-là ?" Donc, je vais vous raconter l’histoire d’un parfait inconnu, un homme farfelu, comme une nouvelle de Gogol ou du premier Tchekhov ; je vais vous parler d’un type absolument délirant que j’ai connu dans les bistrots lyonnais, mais qui m’a influencé énormément. Dans le livre, ce sont eux mes grandes influences. Ce sont des inconnus, des gens de la campagne qui sont importants dans ce que j’ai fait. L’autre chose, c’est que j’ai raconté tout ça comme les conteurs ardéchois, des parenthèses dans des parenthèses, pour faire que le dialogue se promène.Avec des allers-retours étonnants entre le passé et le présent. Mais sans nostalgie, ni foi dans le progrès, avec une lucidité sur toutes les époques…
Tout à fait. Je n’ai aucune nostalgie. Par moments, ça me fait rire. Pendant des années, on m’a dit : "Tu n’as pas la nostalgie du théâtre ?". Et aujourd’hui, c’est la même chose "Tu n’as pas la nostalgie du TNP ?". Je suis complètement détaché de ça, j’ai toujours pensé que ce qui était important, c’est ce que je faisais aujourd’hui et ce qu’on préparait demain.Vous ne croyez pas non plus dans l’idée de progrès. À chaque époque ses tares et ses travers…
Absolument. Il y a une zone de connerie très forte qui appartient à chaque époque. Elles sont différentes. Moi qui ai vu plusieurs générations, hélas ! je vois bien que ça change. Je vois la connerie qui existe. Par exemple, les plaisanteries scatologiques qu’on voit à la télé, oui, oui, je connais bien, ce sont les mêmes que j’entendais dans le bistrot de mon père en 1930. Il n’y a pas de nostalgie, donc. Un jour, on m’a demandé combien de pièces j’avais monté. Je n’avais jamais calculé. Après, on m’a dit que c’était entre 90 et 100. Et on m’a demandé de citer des titres, et je n’ai pas été capable d’en citer 15. C’était oublié, je m’en foutais. Chez moi, je n’ai aucune photo de spectacles, aucun programme, aucune affiche, rien. Je m’en moque, c’est le passé.Dans le livre, il y a une photo de Rajak Ohanian prise en 1972 où l’on vous voit chez vous, entre un portrait de Karl Marx et une photo des Marx Brothers… Est-ce le photographe qui avait fait cette mise en scène ?
Non, non. Ça m’amusait… Quand a été prise la photo ?1972…
Non, non, ça avait été mis bien avant. Quand j’étais allé en Amérique, j’avais trouvé les premiers posters qui existaient, et j’avais ramené Karl Marx et les Marx Brothers. Je fais l’éloge des deux.C’est un bon résumé de votre démarche : pour vous, le théâtre a peut-être une importance politique, mais sinon il faut aller vers le divertissement… Et il y a peu d’alternatives entre les deux…
Bien sûr. J’espère que vous aimerez la pièce de Tchekhov. C’est vraiment un chef-d’œuvre cette fois-ci. Il a écrit ça, ça a été un échec épouvantable, il l’a mise dans in tiroir, il a dû être blessé à mort, et jamais il n’a fait allusion à cette pièce. Quand il a commencé à avoir du succès avec d’autres pièces, il a ressorti ce texte et en a fait une autre version, en oubliant la première. Aujourd’hui, les metteurs en scène russes pensent tous qu’il s’agit de deux œuvres très différentes avec chacune son originalité profonde. Mais la modernité est du côté de la première version. Dans la seconde pièce, le héros tente de se suicider et se rate. Il y a un quatrième acte où l’on est dans l’influence de Dostoievski, Tolstoi… Travailler, subir, souffrir. Et dans la première pièce, le héros ne se rate pas, il meurt à la fin du troisième acte. Mais, c’est là l’extraordinaire, la pièce ne se finit pas dans un entonnoir de désespoir, les jeunes se marient, les couples se reforment. Et je crois que c’est profondément vrai : quand quelqu’un meurt dans votre famille, surtout s’il se suicide, on y pense très longtemps, mais la vie ne s’arrête pas. La modernité de la pièce est éblouissante. Dans le texte, il n’y a pas une phrase qui ait une ride, pas une phrase où on se dit que c’est pompeux. Pas une ride. Je suis très heureux de la faire, et c’est mon dernier spectacle avec le TNP.Vous allez monter des spectacles en indépendant ?
Oui. Un pied dans la tombe, je suis redevenu jeune compagnie.Vous dites que vous allez beaucoup au théâtre et que vous voyez beaucoup de films. Je suis assez intéressé par savoir ce que Roger Planchon apprécie aujourd’hui…
Non, non, je ne fais pas de palmarès. J’ai vu beaucoup de collègues faire ça, et j’ai toujours trouvé ça ridicule. Tout le monde sait que je vais au théâtre, tout le monde sait que je vais voir les jeunes, mais je n’ai jamais fait de palmarès. Il y a des raisons précises. Je suis très agacé quand je vais au théâtre à Lyon, parce qu’immédiatement les officiels qui vont donner des budgets m’appellent pour savoir ce que j’en pense. Ce n’est pas mon boulot. Si je voyais 100 spectacles lyonnais, je pourrais peut-être. C’est pour ça que je ne vais pas beaucoup aux spectacles à Lyon, parce que le coup de téléphone me casse les pieds. J’y vais ailleurs… Dans le livre, je ne me suis pas amusé à mettre les noms des personnes que je déteste. La France est un pays de délateurs, on l’a vu pendant la guerre de 40. Je ne serai jamais un délateur…Est-ce que malgré tout vous trouvez, dans ce que vous voyez, matière à apprendre ?
Oui, bien sûr. Le théâtre est très vivant, contrairement à ce qu’on croit. Mais il procède par bonds. Par exemple, vers les années 30, c’est une immense époque de théâtre. L’expressionnisme allemand, le premier Brecht, Meyerhold, Stanislavski… Et pendant des années on va assimiler ça. Même des grands metteurs en scène comme Louis Jouvet ou Jean Vilar vont participer à cette assimilation. Et vers 65, il va y avoir une nouvelle explosion de théâtre : Bob Wilson, les performances… C’est une révolution énorme. Et maintenant on vit quoi ? L’assimilation de tout ça. Tous les spectacles que je vois, même s’ils m’intéressent beaucoup, je n’y sens pas la nouveauté, j’y vois l’assimilation. Ce n’est pas méprisable, c’est nécessaire pour que surgisse quelque chose d’autre. Et je pense que le théâtre et les œuvres d’art sont très prophétiques. Par exemple, le chômage. Aujourd’hui, il y a des milliers de chômeurs. Au théâtre, vous n’avez vu pendant 15 ans que des clochards, que des chômeurs, alors qu’il n’y en avait pas dans les rues. Pinter, au moment où il n’y a aucun chômeur, raconte des histoires de chômeurs. C’est incroyable. Kafka avait écrit les camps de concentration avant qu’ils existent. Je suis persuadé que les œuvres disent toujours la vérité. Il suffit de savoir les lire, et elles finissent par avouer.

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