L'amour à mort

Théâtre / La Danse de mort, remarquable adaptation d’August Strindberg, permet à Michel Raskine de signer un de ses spectacles les plus accomplis, où le perfectionnisme et l’intelligence de sa mise en scène s’expriment avec une évidente sérénité. Rencontre. Propos recueillis par Christophe Chabert

Petit bulletin : Où situez-vous August Strindberg par rapport aux auteurs que vous avez déjà mis en scène ?
Michel Raskine : D’abord une parenthèse : ce n’est pas un auteur que je connais très bien. Ensuite, une parenthèse dans la parenthèse : je ne suis pas quelqu’un qui lit beaucoup de théâtre, ça me barbe assez, par contre, je vais beaucoup au théâtre. J’avais vu du Strindberg, mais je me tenais à une distance respectable et respectueuse, et je trouvais que la plupart des metteurs en scène le tenaient à une distance respectable et respectueuse. Ce qui fait que je ne me sentais pas si proche de lui… Par ce vieux réflexe, qui est en train de changer depuis le spectacle de Lagarce à la Comédie Française, je n’osais pas m’approcher de ça car j’avais mieux à faire avec des auteurs d’aujourd’hui pour parler du monde d’aujourd’hui.Avec cette première scène à l’humour très noir, on a le sentiment d’entendre du Thomas Bernhard…
Il est certain que Bernhard connaissait Strindberg. Mais ce qu’on entend dans la première scène, c’est mon humour à moi. Sans aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’un autoportrait, je crois que je suis très profondément dans ce spectacle. Je ne suis pas du tout quelqu’un de mortifère, même si je suis attiré par les béances. J’adore le burlesque, j’adore le grotesque… L’excès de sérieux me gonfle, même si je n’aime pas non plus le pur divertissement. Et contrairement aux apparences, il n’y a pas de complaisance chez Strindberg envers le drame, ce n’est pas aussi sombre et glauque qu’on a bien voulu le dire.Dans ce spectacle, comme dans d’autres que vous avez montés auparavant, un des personnages principaux est une comédienne…
Honnêtement, ça n’a pas compté dans le choix de la pièce. Mais c’est une des choses qui m’ont séduite lorsque j’ai décidé, tardivement, de la monter. Le spectacle peut donner l’impression de fluidité, mais il a été très difficile à fabriquer, car je ne soupçonnais pas l’incroyable variété de sujets brillamment tricotés à l’intérieur de la pièce. Oui, c’est une ancienne actrice, mais on ne sait pas si c’était une bonne ou une mauvaise actrice. Ce qui est extraordinaire, c’est que tous les personnages, y compris le visiteur au bout d’un certain moment, sont dans un état de représentation permanente. Le théâtre ne peut pas exister sans spectateur ; un couple qui se déchire a aussi besoin de spectateurs. Strindberg le sait, et il raconte les deux choses.Dans la pièce, le point d’arrivée est sensiblement le même que le point de départ ; les moments d’harmonie sont les moments de stagnation, et le mouvement introduit le chaos…
Tout à fait d’accord. D’où le titre La Danse de mort : le mouvement vers la stagnation définitive. De ce point de vue, c’est peut-être là que se trouve sa modernité, très difficile à mettre à jour car la forme est traditionnelle. Cette monstrueuse spirale qui atterrit au même endroit n’est absolument pas dans la convention du théâtre au début du siècle. C’est peut-être là que Strindberg rejoint quelqu’un comme Beckett…D’ailleurs, "La Danse de mort" fait beaucoup penser à "Fin de partie"…
C’est pour ça qu’à la fin, j’ai carrément fait une citation à peine déguisée de la pièce de Beckett. J’ai reproduit "Fin de partie" : elle ne part pas, comme Clov ne part pas.L’autre citation importante dans le spectacle, c’est celle de Sunset Boulevard de Billy Wilder…
Évidemment. C’est un film que je vénère. On avait très peu de temps pour monter le spectacle et au lieu de demander aux acteurs de regarder le film, j’ai monté une projection au Point du Jour. La première semaine de répétitions, on a projeté deux films à toute l’équipe technique, et même au personnel du théâtre : "Sunset Boulevard" et "Dies Irae" de Dreyer. Deux films qui ont bouleversé mon adolescence…J’ai le sentiment que vous travaillez la mise en scène comme un monteur au cinéma : une alternance de plans-séquences et de scènes très découpées…
Oui, mais ça dépend des scénarios ! Je parle très souvent aux acteurs en termes de cinéma. Je leur dis : «Là, j’ai besoin d’un gros plan». Ça veut dire, les autres dans le coin, arrêtez de gigoter. Si ma caméra, c’est-à-dire l’œil du spectateur, doit faire un panoramique, les acteurs doivent ralentir pour ne pas brusquer ce mouvement. Le metteur en scène est aussi un monteur puisqu’il dit au spectateur : «Je souhaiterais que vous regardiez ça… Ça, c’est pas trop grave, je ne peux pas vous demander une attention féroce tout le temps. Mais ça, je veux que tout le monde l’entende». Cela peut aller d’un mot à une scène, mais c’est valable aussi pour une couleur, un costume, un son…

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