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Éloge de la durée

Au Théâtre les Ateliers, Nicolas Bouchaud incarne avec un plaisir non dissimulé le critique de cinéma Serge Daney, mort en 1992. Dans un solo souvent émouvant, il interroge le pouvoir de l'image et le rapport au temps. Nadja Pobel

«J'ai toujours su...» (repérer l'espace vide qui appelle le plan suivant dans un film de Fritz Lang), «il m'a fallu 30 ans pour savoir...» (que le cinéma c'est du temps). Serge Daney, au delà de sa fascination pour l'image, s'intéresse au temps. Il évoque, admiratif, Rohmer qui dans "Le Rayon vert" «invente la durée». Et ce n'est pas un hasard si ce critique de cinéma, entré aux «Cahiers» à l'orée des années 1960, a également beaucoup écrit sur le tennis lors de ses années passées à «Libération». C'est l'un des seuls sports dans lequel les protagonistes sont maîtres du chronomètre. Ils définissent eux-même le temps de leur match. Pour filer la métaphore, Daney dit d'ailleurs de lui qu'il est relanceur (de films) comme il y a des relanceurs au tennis.«Le cinéma c'est l'enfance»
"La Loi du marcheur" est un spectacle construit à partir de longs extraits de l'entretien qu'a accordé Serge Daney à l'écrivain et médiologue Régis Debray et qui a été édité en DVD sous le titre «Itinéraire d'un ciné-fils». Quelques mois avant sa mort des suites du sida, Daney parle de la naïveté réjouissante avec laquelle il est allé à Hollywood à vingt ans avec Louis Skorecki quand il fallait 20 heures en charter pour traverser l'Atlantique et comment il a rencontré, au culot, les plus grands réalisateurs (Hawks, Hitchcock...) en prétextant travailler pour une revue française qui commençait à intriguer et dont il a intégré ensuite la rédaction : "Les Cahiers du Cinéma". Nicolas Bouchaud, mis en scène par Éric Didry, donne beaucoup de délicatesse à son personnage. Lui qui a joué avec les plus grands comédiens (Valérie Dréville ou Rodrigo Garcia) et qui était encore il y a peu dans la distribution de la tonitruante "Dame de chez Maxim" version Jean-François Sivadier, sait transmettre ici l'émotion presqu'enfantine dont fait part Daney au cours de ces entretiens. Daney analyse d'ailleurs l'arrivée d'un train en gare de la Ciotat comme une image extrêmement marquante et «depuis, toutes les images bouleversent un peu moins chaque jour», dit-il. «2001» de Kubrick est pour lui sa «dernière rencontre avec de l'art spontanément émerveillant». Sur la télévision, Serge Daney est moins percutant. Il l'a pourtant étudiée pour des chroniques publiées dans "Libération" mais il est révulsé par l'indignité dont font preuve les gagnants des jeux télévisés. Qu'aurait-il écrit sur "Loft Story" ? Aurait-il plongé corps et âme, comme son successeur dans les colonnes de "Libération", David Dufresne, dans ce programme OVNI qui annihilait tout rapport au temps ? Quelques mois avant sa mort, Daney se voulait plus que jamais passeur du bon cinéma réaliste au risque de dénigrer les images de synthèse. Nicolas Bouchaud, s'amuse à redonner vie à ce critique majeur qui lui-même s'amusait tant avec le cinéma et «Rio Bravo» (film projeté par à-coup dans cette pièce). Puisque, comme Daney l'a souvent dit, «le cinéma c'est l'enfance, pas l'adolescence».

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