«Terriblement drôle»

Entretien / Sami Frey, acteur mythique, endosse le costume du narrateur de Premier amour de Samuel Beckett pour un voyage cruel et réjouissant. Propos recueillis par Dorotée Aznar

Petit Bulletin : Vous vous êtes intéressé à Samuel Beckett assez récemment. Pourquoi à ce moment de votre carrière ?
Sami Frey : Je connaissais Samuel Beckett depuis longtemps, mais j’ai vraiment découvert assez tard dans ma vie à quel point ses écrits me touchaient et j’ai eu envie de «faire quelque chose» avec ses textes.Pourquoi avez-vous choisi Premier amour ?
En fait, j’ai monté Cap au pire en 2007 au Théâtre de l’Atelier, à Paris. Ce théâtre m’a ensuite proposé de travailler de nouveau sur un texte de Beckett. J’ai alors pris le temps de la réflexion. J’ai d’abord souhaité apprendre le texte de Premier amour. La phraséologie de Beckett est tout à fait particulière, elle ne permet pas d’intervertir les mots et c’est très complexe à mémoriser. J’ai passé entre six et sept mois à apprendre Premier amour et ensuite, j’ai cherché une façon de dire ce texte. Je me suis appuyé sur les dernières années de la vie de Beckett, quand il passait des heures dans le petit jardin de la maison de retraite où il a fini ses jours. Je l’ai imaginé là, dans ce jardin…Ce texte n’est pas un texte écrit pour le théâtre. Il n’a d’ailleurs été publié que 25 ans après avoir été écrit….
Premier amour est l’un des premiers textes écrits par Beckett en français. Il l’a écrit en 1946, il a finalement été publié en 1971 après que Beckett l’a modifié. Savoir que Beckett a revisité ce texte m’a aidé à imaginer. Le personnage qu’il nous présente est un homme cerné, à un passage de sa vie, dans une sorte d’enfer ou un purgatoire… Cela m’a poussé à créer une tension sur scène, que je matérialise avec le son très strident qui retentit régulièrement et qui oblige le personnage à raconter son histoire ; il n’a pas le choix, c’est le principe de l’éternel retour. Je ne voulais pas présenter une lecture car, pour moi, la langue de Beckett est immédiatement théâtrale. D’ailleurs, ses fictions me semblent encore plus théâtrales que les pièces écrites pour le théâtre. Et elles permettent également quelques libertés, notamment celle de ne pas suivre les didascalies dont Beckett use largement dans ses pièces. J’y échappe, mais je respecte le texte à la lettre.Le personnage-narrateur imaginé par Beckett est-il naïf, cruel, idiot ?
Les trois ! Il est profondément humain ! Pour moi, avec Premier amour, Beckett se livre à un exercice contre le romanesque, une réaction. Si le personnage de Beckett est aussi touchant, c’est parce qu’il dit les choses comme elles sont et parce qu’il est impossible de le juger. Ce personnage est trop naïf, trop idiot ou trop humain ; il est nous. Ce qui est touchant, c’est cette profonde humanité qui se dégage de ce texte, même si ce mot a été largement galvaudé… Beckett est un écrivain qui est descendu très profond !En dépit de la cruauté de cette histoire, ce texte est également très drôle et le public rit beaucoup…
Ce texte est terriblement drôle ! Beckett épuise les idées les unes après les autres. Quand j’ai lu ce texte, il m’a fait beaucoup rire et je ris encore en le lisant ! Je suis d’accord avec le public quand il rit car, pour moi, Premier amour est irrésistible, sans avoir à fournir aucun effort «boulevardier».Les réactions du public vous surprennent-elles ?
Je suis content que le public réponde présent ! Cela me surprend toujours autant que cela me fait plaisir ! J’aime que le public s’aperçoive que le théâtre, c’est simple, c’est immédiat, c’est compréhensible. Qu’il réalise que les grands auteurs sont accessibles. Pour moi, le théâtre, c’est une émotion immédiate. Si ce n’est pas cela : c’est rien. C’est du sensible une salle, c’est une collectivité qui ressent.Allez-vous continuer à explorer l’œuvre de Beckett ?
Ma tournée va encore durer quatre mois. Pourquoi pas continuer avec Beckett ensuite. Tant que cela me porte et m’inspire ! Mais ce n’est pas toujours facile de convaincre des structures de vous suivre dans les textes qui ne sont pas écrits pour le théâtre…

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