Serial comédien

À tout juste 21 ans, Alex Ramirès se lance dans un one man show en forme de série télé, où, derrière les références générationnelles, perce la personnalité d’un comédien physique et virtuose, promis à un bel avenir. Christophe Chabert

Dans le laïus introductif au spectacle, le présentateur de la soirée nous avait prévenu : il «plait aux filles». Regard clair et sourire charmeur, avec cette légère cicatrice au-dessus de la pommette droite, Alex(andre) Ramirès est effectivement un "beau gosse". Mais quand il entre en scène, c’est en teenager ayant tout juste perdu son pucelage et proposant de le raconter à la manière d’une saison entière de série télé. Un personnage, bien sûr… Un fantasme de geek dont le canapé et la télécommande seraient comme des organes ayant poussé naturellement à l’adolescence. Sur un tel canevas, il y a un risque de dérapage dans le graveleux, la blague potache ou les références interdites aux plus de 25 ans ; Ramirès n’y tombera jamais, et on l’en remercie. À la place, c’est en pur comédien qu’il anime la scène, multipliant les personnages et les situations à une vitesse délirante, changeant de peau par une inflexion de voix, un simple raidissement ou un déhanché suggestif ; un véritable split screen humain.

«Ne pas figer les choses»

Flashback donc, mais sur Ramirès cette fois. À 9 ans, à Roussillon, pas loin de Vienne, celui que sa famille appelle «l’artiste» (il jouait du violoncelle auparavant) franchit les portes de sa MJC pour participer à un cours d’improvisation théâtrale ; il en partira dix ans plus tard pour aller poursuivre ses études à Lyon. Lyon où il allait pour voir les matchs d’impro de la LILY («c’était mes stars», dit-il) ; c’est donc naturellement qu’il frappe à leur porte pour poursuivre son apprentissage. Le théâtre finit par prendre toute la place : un stage au Nombril du monde et son intronisation au sein des Impro’Loco, troupe d’improvisateurs dont le président est Jocelyn Flipo, avec qui Ramirès sympathise. Flipo le pousse à écrire un sketch pour un festival d’humour, mais Alex rame sur l’écriture. «J’étais parti sur quelque chose d’assez barré, ça aurait été très hermétique», commente-t-il. Jocelyn Flippo, qu’écrire démange, propose donc ses services et, un an plus tard, c’est une première ébauche de one-man-show qui voit le jour. Dégraissé («on avait tout mis dedans, il faisait 1h45»), repensé et amélioré par «l’œil extérieur» de Léon Vitale, voici la version presque finale de Saison hein ?!, sur la scène du Café du bout du monde en novembre 2010. Presque, car Ramirès «n’aime pas figer les choses». «On le retravaille encore, notamment le début, pour que les gens rentrent encore plus rapidement dans l’univers, qu’on ne se demande pas si c’est l’humoriste ou le personnage qui leur parle». Améliorer le pilote, en sorte…

Une «page blanche»

Le texte, ici, n’est pas une finalité ; d’ailleurs, Ramirès reconnaît que beaucoup de sketchs sont nés de personnages qu’il avait créés auparavant, où d’improvisations lancées par Flipo puis couchées sur le papier. Le texte donne un cadre, une structure et un rythme solides au spectacle, mais c’est bien l’exécution de Ramirès qui fait la différence. Sans le moindre accessoire (on sent l’expérience des années passées sur les scènes d’impro), il incarne une dizaine de personnages, jeunes et vieux, masculins et féminins (ou les deux), tous colorés par l’influence des séries télé américaines d’aujourd’hui, ce qui permet de déformer les stéréotypes pour aller vers plus de narration et plus de folie. Déformer, c’est aussi le principe du jeu de Ramirès : il manie l’élasticité de son corps et de son visage en virtuose, ce qui n’est pas sans évoquer un certain Jim Carrey, notamment ses sketchs de l’époque Saturday night live. Cela demande une discipline physique («de l’endurance, de la muscu, de la capoeira et des cours de hip-hop»), mais aussi une imagination débridée et un abandon total : «Je ne m’interdis rien. Je ne veux pas que mon corps m’empêche d’exprimer des choses ; quand je passe d’un personnage à l’autre, j’ai envie qu’on y croit, que ce soit rapide». Le résultat : un ancien candidat de télé-réalité pas encore conscient de son statut de has been, une mère protectrice tendance cougar, un Dj précieux et hystérique ou une hilarante création de caillera gay, lançant des mots d’amour agressifs et brutaux, voilà le petit monde d’Alex Ramirès lancé à 100 à l’heure dans un spectacle qui s’apparente à une série déglinguée, avec ses cliffhangers, son climax et sa conclusion ouverte sur une nouvelle saison. On est curieux de voir comment cet enfant de la pub, du clip et du cinéma (autant de choses qu’il envisageait avant de se consacrer pour de bon au théâtre) promènera son drôle de corps dans des productions moins «sur mesure». Mais lui qui n’appartient à aucune famille, aucune école, avoue qu’il s’y prépare avec curiosité. «J’ai tout à prouver et tout à construire. Je suis une page blanche. Il n’y a pas écrit : «vu quelque part». À moi de me faire mon nom et de me créer l’image dont j’ai envie». À suivre, donc.

Alex Ramirès, «Saison hein ?!»
À La Marquise, du mer 26 au ven 28 janvier à 20h30 et au Boui-Boui les samedis à 18h jusqu’au 19 février

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