Sens interdits, jour 3 : Ici on rase les barbes

Ce jour-là (Afghanistan). Nadja Pobel

Le voilà le grand spectacle que l’on attendait ! Ce jour-là est un festival a lui tout seul parce qu’il est incroyablement vivant alors qu’il nous plonge au cœur de l’Afghanistan de 1995 à aujourd’hui. Il y a là du drame, des rires, une capacité à inventer des lieux d’actions infinis et des acteurs qui se plient à ce rythme soutenu, se métamorphosent en talibans, en soldats US — à peine plus fréquentables que les premiers, et surtout en simples afghans qui regardent passer les bombes quand elles ne les anéantissent pas.

Théâtre du Soleil

Avant de découvrir le travail fait avec les Cambodgiens sur "L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge" (de mercredi à vendredi prochains), il était donné à voir ce dimanche soir aux Célestins une autre co-production du Théâtre du Soleil avec des acteurs en herbe, issus d’un pays où le théâtre est un luxe quand manger, se loger, s’habiller est déjà une sinécure : la troupe AFTAAB. Ariane Mnouchkine est allé donner des cours de théâtre en 2005 en Afghanistan. En résulte ce groupe du théâtre AFTAAB qui a bien grandit en six ans. Ils ont déjà quelques créations à leur actif (dont un travail sur Œdipe avec l’ENSATT dans lequel Mathias Langhoff semblait les avoir laissés à la dérive). Mais la vitalité de cette quinzaine de jeunes comédiens est d’autant plus épatante lorsqu’elle se met au service de leur propre histoire. Avec la metteur en scène Hélène Cinque ils ont inventé le récit de leur pays. Résultat : 2h30 alternant des saynètes de la vie quotidienne de ces quinze dernières années montrant ce que c’est que d’avoir 20 ans à Kaboul. Au commencent de ce spectacle, une femme embrasse son amoureux. Surprise par son père, elle est pendue et son amant assassiné. Le vieil homme pleure alors sa fille chérie et honni sa «haine orgueilleuse» qui l’a conduit au pire. Ainsi va se dérouler le spectacle : il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Une troisième voie est possible, pour la repentance, pour faire place aux sentiments. "Ce jour-là" montre ce que c’est que de composer au quotidien avec une charia de plus en plus forte et absurde avec ses «milliards de lois» soi-disant fondées sur le Coran et clamées par les barbus. Et tout aussi tragique qu’elle soit (la lapidation, les interdictions multiples…), la vie continue. Avec parfois des éclats de rire. Comme lorsque des non-croyants se réfugient dans une boutique de confection de vêtements et que les deux fuyards se mettent à mimer une prière pour ne pas être vu des talibans. L’un d’eux n’est malheureusement pas en direction de La Mecque, il risque sa vie en se plantant de sens. Les grands coups de genou qu’il reçoit de son acolyte provoquent inévitablement l’hilarité. De même, deux musiciens s’engoncent dans les draps pour se cacher, se faisant passer pour des femmes portant la burqa. Ces moment-là n’ont rien d’un Mister Bean au pays des talibans. Elles sont profondément drôles et justes parce qu’elles ont été écrites, et d’une certaine façon validées, par ceux-là mêmes qui ont passé leur jeunesse dans un pays en guerre : cette troupe AFTAAB.

Bouts de ficelles

Si le rire trouve sa place c’est aussi parce qu’Hélène Cinque a su rythmer l’ensemble et ne jamais adopter un point de vue définitif sur ce pays. Elle invente avec son équipe des moments simples avec des bouts de décor (une coiffeuse et un banc pour un salon de coiffure où "on rase les barbes" comme acte suprême de résistance, une carriole pour un marché, des caisses en bois pour un hammam ou la cour d’une université). Bref, le voyage est total dans la capitale Kaboul ou dans des coins plus reculés, à la frontière du Pakistan. Par ailleurs, elle a eu l’intelligence de ne pas tout traduire afin que les spectateurs français ne passent pas la durée du spectacle à lire un livre. C’est la scène qui compte. Le jeu. Et qu’y a t-il à rajouter à une scène de dispute ? Tout est dans l’attitude et le ton des comédiens. Ultime force de "Ce jour-là" : rien n’est décontextualisé. Des cartouches annoncent souvent le lieu et l’année de l’action jusqu’à ce que sur ses panonceaux soient projetées les images du 11 Septembre. Les avions d’Al Qaida s’encastrant dans les tours new-yorkaises. S’ensuit alors une scène d’un "mariage d’amour" à Kaboul. Sans paroles mais en musique, dix minutes de bonheur se jouent sous nos yeux jusqu’au bruit assourdissant des bombes. Et résonne la voix de Georges W. Bush et son discours du 20 septembre prononcé devant le Congrès des États-Unis : «la guerre contre le terrorisme ne fait que commencer». Essuyant ses larmes, on bascule dans la période de l’occupation américaine passée au vitriol par la troupe. Alors que jusque là, le festival avait programmé des spectacles froids, qui instillaient rarement une émotion tant ils glaçaient, "Ce jour-là" sonne comme un contre-exemple saisissant avec du sang et des larmes. Un spectacle en chaire, fut-elle souvent mutilée, qui a mis la salle des Célestins debout.

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