Les Amours broyées de Lorraine de Sagazan

Carte blanche à Lorraine de Sagazan

Théâtre de la Renaissance

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Théâtre / En présentanten diptyque, aux Nuits de Fourvière, des pièces qu’elle a créées indépendamment, Lorraine de Sagazan passe le couple à la dynamite dans sa très brillante adaptation de "Démons" mais fait preuve de beaucoup plus d’hésitations dans "Maison de poupée".

Elle a été assistante de Thomas Ostermeier au cours de sa jeune carrière, après sa sortie de du Studio-théâtre d’Asnières. Lorraine de Sagazan monte deux pièces auxquelles le précieux et prolixe Allemand s’est confronté : Démons dont il avait fait un travail lisse, presque fade, écho à un texte bien peu grinçant en apparence puis Maison de poupée, sommet d’Ibsen (et d’Ostermeier) qui ose donner en 1879 une place décisive à la figure de l’épouse. Et donc, faire scandale.

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Sagazan parvient à magnifier le texte de Noren (1984), mais n’accède pas à la force d’Ibsen bien qu’elle en modifie les enjeux pour le contemporanéiser. Du Suédois, toujours vivant à 73 ans, elle capte la violence qui sourd puis explose dans le couple à l’occasion d’une banale soirée où l’homme, l’urne renfermant les cendres encore chaudes de sa mère dans les mains, prend à parti son épouse. Les prénoms des comédiens ont été préférés à ceux de Frank et Katerina pour plus de proximité avec un public disposé en bi-frontal, invité au salon. Jusqu’à ce qu’il invite un couple de voisins guère plus solide.

À partir de ces histoires de mœurs petits-bourgeois, Sagazan fait le portrait moderne d’une jeunesse qui s’étouffe dans des modèles étriqués ; elle massacre des simulacres avec drôlerie, cruauté et en musique comme toute bonne soirée qui se respecte. Le public, partie prenante à son insu et sans jamais que cela ne vire à la putasserie, n’est pas épargné.

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« Pourquoi vous avez choisi cette personne parmi les milliards qui existent ? »

Ce défi d’interagir avec les spectateurs est paradoxalement un des écueils de Maison de poupée. Frontalement, une lecture d’Ibsen nous est faite, platement, jusqu’à provoquer un deuxième départ. Les mêmes acteurs jouent la même diffraction mais en inversant les rôles de Nora et Torvald (c’est sur elle désormais que repose l’équilibre économique du couple) afin de pointer, avec trop d’insistance, la société machiste.

Les déplacements sont toujours aussi maitrisés, un couple se parlant par-dessus l’autre, chacun cherchant sa place presque maladivement, avec une tension constante. Mais trop d’effets s’empilent (texte final non prononcé, projection de mots pour chapitrer les séquences façon Gosselin…) pour que le propos d’Ibsen (la société patriarcale) ne trouve sa force initiale. Mais nul doute que la jeune metteure en scène a encore beaucoup de ressources pour se faire l’observatrice aigüe de ces malaises intimes. Prochaines cibles : Platanov, Sacha, Anna Petrovna et les autres.


Démons + Maison de poupée
Au Théâtre de la Renaissance (dans le cadre des Nuits de Fourvière) les vendredi 9 et samedi 10 juin

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