Théâtre : sujets, verbes et compléments

Au Théâtre ce semestre / Après 18 mois d’arrêt ou de hoquet, les salles de théâtre s’ouvrent enfin en grand avec une saison plus remplie que jamais, faisant face à un défi immense : appâter de nouveaux spectateurs avec des spectacles toujours plus haut de gamme. Qui ne sont jamais aussi pertinents que lorsqu’ils collent au réel, ou au contraire prennent totalement la tangente. Débroussaillage.

Neuf spectacles de plus cette saison au Théâtre de la Renaissance par rapport à la précédente (de 32 à 41 levers de rideaux), cinq de plus au TNG, quasi vingt supplémentaires aux Célestins… Une « saison folle » débute, comme la qualifiait Jean Bellorini, arrivé au TNP en janvier 2020, qui attend à Villeurbanne 115 000 spectateurs contre 80 000 habituellement.

Pour que les fidèles multiplient les spectacles et que le nouveau public sorte de son confinement (avec masque et passe sanitaire obligatoires), les équipes de directions ont cravaché, jonglant entre les reports et les annulations, sans condamner les spectacles qui se créaient derrière les portes fermées des théâtres l'an dernier. Et, surtout, les artistes — comme la bonne cuvée d’Avignon cet été a pu en témoigner — ont des ressources, lorgnant vers le réel ou vers l’étrange.

C’est le cas de l’uppercut du festival, Pinocchio (live)#2, (au TNP en avril 2022) de la scénographe Alice Laloy, soit un ballet d’adultes muets, transformant mécaniquement des enfants en marionnettes. Vertige devant ce renversement des codes et une standardisation qui annihile l’humain.

Avec la langue alambiquée de Novarina, Jean Bellorini avait de son côté enfin monté son Jeu des ombres (au TNP en janvier) dans le subside d’Avignon 2020 : décor baroque, instruments à cordes et surtout un casting aussi épatant que dépareillé.

Le théâtre villeurbannais entame la saison par une fête, celle se son centenaire (voir page 14) avec des conférences qui s’annoncent passionnantes et le Ça ira, créé en 2015 par Joël Pommerat, captivant quoique plus proche du roi que du peuple.

Plus dégingandé, le Farm Fatale (au Théâtre de la Croix-Rousse en novembre) de Philippe Quesne convoque marionnette et musique pour évoquer la fin de la présence des humains, avalés par la pollution. Enfin, ce démissionnaire des Amandiers-Nanterre sera à Lyon sur un grand plateau ! Curiosité aussi de découvrir enfin le Terairofeu (au TNG en janvier) de Marguerite Bordat et Pierre Meunier dans lequel deux éboueurs se jouent de la ferraille, du carton, du plastique en s’inspirant des écrits de Gaston Bachelard et du rapport qu’ils maitrisent ô combien, à la matière.

Doubles

C’est précisément cette distance que ne prend pas Caroline Guiela Nguyen avec son Fraternité (aux Célestins en janvier) dégoulinant de bons sentiments. Plébiscitée à Avignon, cette fresque mélodramatique dans laquelle le chagrin des hommes a des conséquences sur l’ordonnancement des planètes pêche sérieusement par son écriture et se noie dans son décor, décalque mauve de celui de son précédent blockbuster Saïgon.

Peu de distance aussi et trop peu d’invention du côté de Baptiste Amann et sa trilogie Des Territoires (aux Célestins en juin) mais sa volonté d’ausculter la France périphérique, de la disséquer presque, s’avère parfois touchante chez cet artiste encore jeune.

Toujours dans ce théâtre municipal à l’envergure internationale (joie d’y retrouver cette saison Marthaler, Niangouna, Serebrennikov, Zeldin…), la jeunesse a bel et bien son mot à dire avec, par exemple, la place accordée la compagnie Courir à la Catastrophe en janvier avec la création d’Œuvrer son cri (sur l’occupation d’un théâtre…) de Sacha Ribeiro (qui est aussi à l’affiche de la création de Claudia Stavisky Skylight dès septembre), les reprises du percutant En réalités et du poignant, intime et universel 5-4-3-2-1 j’existe.

Ce que met en scène l'autre moitié de ce duo, Alice Vannier et son Alors j'éteins ? sera au Point du Jour en mars. Car cette saison les lieux dialoguent plus que jamais entre eux, pour nous. Ainsi Lorraine de Sagazan présente Un sacre, interrogation sur le sens de ce mot durant le confinement aux Célestins (en mai) avec l’un des jeunes auteurs les plus doués de sa génération, Guillaume Poix (aussi présent au NTH8 avec Straight, en novembre et décembre) et La Vie invisible au Point du Jour (en mars) qui questionne la cécité des voyants comme des non-voyants.

Parcours croisé aussi pour Johanny Bert associé au Théâtre de la Croix-Rousse (Le Processus en janvier, Une épopée en juin) et dont le Hen, pour adultes, est reprogrammé aux Célestins en décembre. Idem pour le brillant Tommy Milliot avec Médée (aux Célestins en décembre) et La Brèche (au Théâtre de la Croix-Rousse en mars) et pour Christiane Jatahay, enfin lyonnaise. La Brésilienne, adoubée par la Comédie-Française et experte dans l’art de mêler la vidéo au théâtre, sera présente avec un ancien travail, Julia d’après Strinberg (au Théâtre de la Croix-Rousse en novembre) et Entre chien et loup, son adaptation fluide du film Dogville et plus détaché de son cas personnel que l’emprunté Le Présent qui déborde (au TNP en novembre et décembre).

François Hien sera partout cette saison et, s’il était peu convaincant et trop dogmatique avec ses variations sur l’affaire Lambert (Olivier Masson doit-il mourir ?) et Babyloup (La Crèche), il séduit lorsqu’il plonge dans le documentaire comme c’est le cas avec son feuilleton sur le relogement L’Affaire Correra (au TNP en avril), construit lors d’une résidence à La Duchère. Angélique Clairand et Éric Massé adaptent son texte sur la tempête Xynthia qui a endeuillé La-Faute-sur-Mer, La Faute (au Point du Jour en septembre et octobre), et lui-même mettra en scène sa pièce La Peur sur la pédocriminalité dans l’Église (aux Célestins en novembre, à La Mouche en janvier, au Théâtre Jean Marais en mars). Il a également co-écrit Mort d’une montagne (au Point du Jour en janvier) avec Jérôme Cochet et piloté le vaste projet exaltant avec une centaine d’amateurs, La Révolte des Canuts (aux Célestins en juin). Fermez le ban.

Troubles

Avec radicalité, talent et exigence, de jeunes autrices et metteuses en scène et même actrices portent haut le travail autobiographique à force de ciselage de l’écriture —poussée vers le monstre — et d’interprétation au cordeau. C’est le cas de Jeanne Garraud avec Marguerite, l’enchantement sur son enfantement (aux Clochards célestes en novembre, à La Mouche en mars) ou Marie Depoorter dans Grand battement sur la discipline froide de la danse classique et l’éveil puissant à la sexualité (au Théâtre de l'Élysée en novembre). Loin de la pédagogie de comptoir (oui Désobéir tourne encore…), elles racontent le monde via le leur sans concession. Cette collusion entre l’effroi entre le banal, entre le réel et le fantasme, c’est précisément ce que creusent leurs pairs : Maguy Marin et son impitoyable Allez y voir de plus près (créé à Avignon et pas programmé cette saison à Ramdam… embouteillage) ou Milo Rau avec Familie (au Point du jour en janvier), dans les entrailles d’une famille qui s’est pendue.


Pour les kids

Pas besoin d’accompagner un enfant pour voir ces quelques pépites et pourtant chanceux seront ces petits et petites qui découvriront le théâtre via Pinocchio(live)#2 (voir ci-dessus, dès 8 ans) ou le très réussi Normalito (au TNG en mai) de Pauline Sales sur ce que sont les codes attribués aux filles et aux garçons. Drôle et impertinent, jamais donneur de leçons. Maud Lefebvre a déjà fait la démonstration avec Maja de sa capacité à s’adresser à eux. Le Royaume (au Théâtre de la Renaissance en octobre, dès 12 ans) embarque un enfant et un adulte au bord du trou noir. Pour les plus petits, Céto (au Théâtre de la Renaissance en novembre, dès 2 ans) propose une demi-heure sous une eau figurée par le collectif doué en matière d’immersion, Invivo, doux voyage créé dans le cadre de Micro-mondes 2019 (voir page 16).

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