Myriam Boyer, la combattante

Portrait / La gamine de la Croix-Rousse prolo a bien grandi. À 70 ans sonnés, la pause du confinement aidant, la comédienne Myriam Boyer fait dans une biographie tout juste parue un retour arrière sur ses vies de cinéma et de théâtre. Où l’on croise Blier, Sautet, Koltès, Chéreau, Planchon et où on se dessine une vie de luttes et de joies mêlées, sa « marmelade de sentiments ».

Elle est en tournage à Auch quand elle décroche le téléphone à l’heure convenue : Les Vieux fourneaux 2, avec Pierre Richard et Eddy Mitchell. Mais immédiatement, elle accepte de revenir au Clos Jouve dans ce « deux pièces avec toilettes sur le palier » où elle a grandi sur le plateau de la Croix-Rousse, de sa naissance en mai 1948 à ses dix-huit ans. Le quartier n’a plus rien à voir avec « le refuge de tisserands » qu’elle évoque dans Théâtre de ma vie, paru en septembre, il est « devenu bobo » reconnait-elle bien volontiers « mais les immeubles, les espaces, le boulevard sont restés les mêmes. »

Sa mère, La Berthe, l’élève avec ses deux frères plus âgés, les écartant d’un père violent, alcoolique et « maquereau de bas étage », que la gamine regrette de ne pas avoir su accompagner lors de son cancer fatal. Son œil de verre l’effrayait mais il lui a offert, a posteriori, « un réservoir d’images fantasmagoriques ». Le grand-père s’éteint à quelques mois de la naissance du premier fils de Myriam, Clovis Cornillac, en 1968.

Infiniment admirative de cette mère qui dans les années 50 divorce et « va au commissariat pour dire qu’on lui tape dessus », Myriam Boyer semble continuer la lutte. L’art la sauve. Son frère Serge sera envoyé par le juge des enfants aux Beaux-arts et deviendra architecte — le premier aménagement de la place de la République en 1976, c’est lui. Elle sera comédienne, poussant les portes du Théâtre de la Croix-Rousse alors aux mains de Parisiens en décentralisation qui peinent à rivaliser avec les mastodontes voisins que sont Marcel Maréchal ou Roger Planchon, mais qui lui permettent de faire cette étrange chose dont elle ne comprend pas le terme, de « l'expression corporelle ».

Rapidement, elle obtient le premier prix du Conservatoire de Lyon et file à la rue Blanche — à l'ENSATT — en devenant mère à vingt ans. Ce n’était pas évident car « je devais gagner de l’argent, mais il était possible de travailler, payé à la ligne de réplique. » Elle passe ses journées dans ce qui se nomme « le couloir de la honte » à l’ORTF, aux Buttes Chaumont, et à défaut de castings qui ne se pratiquent alors pas, elle fait la queue devant chaque bureau pour poser sa photo. « Au moins on pouvait aller chercher du travail, ça évitait de rester chez soi en attendant un appel ».

Apprentie saltimbanque

Surtout, dans une carrière jalonnée d’hommes – 70’s/80’s/90’s obligent — c’est Agnès Varda qui sera sa première rencontre déterminante dans le grand monde. 1969, Myriam Boyer est engagée pour jouer une Parisienne désargentée pour un documentaire-fiction, Nausicaa, que la cinéaste consacre aux « accrocs portés à la démocratie en Grèce depuis le putsch des colonels » se remémore-t-elle dans son livre. « Elle était exigeante et j’ai toujours aimé que ça ne parte pas dans tous les sens ». Varda lui trace un chemin : « on ne se rend pas compte à quel point tout de suite on se met sur des rails dans ce métier ». Viendra Claude Sautet dès ses 25 ans dans Vincent, François, Paul et les autres qui était alors considéré comme … « un cinéaste commercial ! Car il avait les moyens de faire ses films ». Elle le retrouvera 18 années plus tard pour Un cœur en hiver. Entre temps, elle a passionnément aimé jouer sous la direction de Bertrand Blier (Trop belle pour toi, Un deux trois soleil, Le Bruit des glaçons) dont elle loue avant tout le talent d’auteur : « dire ses textes au cinéma, c’est un bonheur, c’est un des rares avec qui les comédiens retrouvent des niveaux de l’époque de Prévert ». C’est aussi une époque joyeuse où la vie sur les plateaux est heureuse comme sur Série Noire d’Alain Corneau où Patrick Dewaere, son « frangin de cinéma », rayonne.

« Les plus beaux rôles que j’ai joué sont au théâtre » nous dit-elle comme une évidence malgré la fierté qu’elle a eu de rencontrer tous ces cinéastes. Elle est dirigée par Jorge Lavelli, Klaus Michael Grüber, Bernard Sobel et Patrice Chéreau. Ensemble ils créeront Combats de nègre et de chiens aux Amandiers en 1983 et l’auteur Bernard-Marie Koltès est une des rencontres les plus douces de sa vie. Ils ont le même âge, il est issu d’un milieu bourgeois opposé au sien et pourtant… « Je pensais que le théâtre était très intello, que ce n’était pas abordable comme celui que j’avais côtoyé à la Croix-Rousse ; avec Koltès ça m’est devenu intime et facile à comprendre ; il était tellement tendre et d’une intelligence folle sans en mettre plein la vue. »

Comme présidente du conseil d’administration de l’ENSATT de 2016 à 2020, elle a le bonheur de voir que tant d’étudiants le choisisse encore pour leurs scènes de concours. Myriam Boyer sera aussi de l’aventure Roberto Zucco, créé à Lyon avec Bruno Boëglin puis, après la mort du dramaturge, elle jouera comme elle le lui avait promis dans le Retour au désert version Jacques Nichet en 1995. Koltès avait été malheureux du travail de Chéreau sur ce texte.

Récompenses

Si toute sa carrière de théâtre s’est alors faite dans les établissements publics, elle fait, pour sa première incursion dans le privé en 1996, une expérience traumatisante aux côtés de Niels Arestrup dans Qui a peur de Virginia Woolf. Elle décrit dans son livre la violence verbale et physique, le licenciement abusif après 54 représentations à succès, son remplacement au pied levé mais aussi l’Académie des Molière qui l’honore pour ce rôle mais ne lui réserve pas de place assise au repas qui suit. Elle gagnera aux Prud’hommes. Interrogé sur cet épisode, le comédien plaidait encore début octobre dans un article surprotecteur de Libé « l’impétuosité mal domptée ». Elle dit garder les traces de ce cauchemar : « je me méfie, je donne moins, je suis devenue plus solitaire » et se réjouit que la génération actuelle n’ait plus peur de dénoncer les faits de violence et soit surtout mieux entendue. Si elle n’a pas été victime d’agressions sexuelles, elle se souvient des « propositions malhonnêtes et des regards salaces » dans les années 70 au cinéma, de son refus d’un rôle « présenté comme le énième Emmanuelle » mais mesurait, bien avant #metoo, sa joie d’avoir des garçons « car ce serait moins dur pour eux ». Si ce mouvement de libération de la parole des femmes la satisfait grandement, elle met en garde sur le fait que l’égalité entre hommes et femmes ne s’opérera qu'en se comprenant, pas en s’opposant.

À 73 ans, elle se souvient donc de cette vie « théâtrale » au sens d’une aventure assez extravagante et très libre durant laquelle elle n’a a pas renié ses origines, inspiration de son premier long-métrage comme réalisatrice — La Mère Christain en 1998. Suivra La Vie devant soi en 2010. Mariée trois fois, son deuxième mari, John Berry, de trente ans son aîné, cinéaste, assistant d’Orson Welles, avec qui elle a eu son deuxième fils, lui a permis de vivre « un nomadisme infini en harmonie avec [leur] passion illimitée » ; il fera d’elle la belle-mère de Jean Seberg puis d’Anna Karina, épouses successives de son garçon, Dennis Berry.

Les mots qu’elle consacre à ces icônes sont troublants de sincérité. Dans une langue simple, empruntant parfois au patois, Myriam Boyer fait le récit de ses vies sans se la "raconter". Et nous dit au téléphone son plaisir de jouer encore, au cinéma, au théâtre (la tournée interrompue Louise au parapluie écrit et mis en scène par Emmanuel Robert-Espalier reprendra dans un an). Et fait une prophétie dans un éclat de rire : « je veux mourir sur scène » !

Myriam Boyer, Théâtre de ma vie (Seuil)
À la librairie Vivement Dimanche le vendredi 19 novembre de 17h à 19h


Myriam Boyer en 12 dates

1948 : Naissance à Lyon

1968 : Naissance de son premier fils, Clovis Cornillac

1970 : Nausicaa d’Agnès Varda

1974 : Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet

1979 : Série Noire d’Alain Corneau

1982 : Naissance de 2e fils, Arny Berry

1983 : Combat de nègre et de chiens, ms Chéreau

1989 : Trop belle pour toi de Bertrand Blier

1989 : La Mort de Danton, ms Klaus Michael Grüber

1991 : Roberto Zucco, ms Bruno Boëglin

1998 : La Mère Christain

2017 : L’Amant double de François Ozon

2019 : Louise au parapluie, ms Emmanuel Robert-Espalier

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