Makers : faire et défaire

Article publi-rédactionnel / Déjouer le réel, s’inventer des possibles, si possible avec légèreté et rire, c’est tout le programme de Makers à voir aux SUBS du 18 au 20 janvier. Le metteur en scène et comédien espagnol Oscar Gómez Mata est en duo avec son compatriote Juan Loriente. Avant de rejoindre la scène, il nous présente cette récente création.

Vous avez travaillé d’après les œuvres des écrivains Robert Louis Stevenson (La Maison d’Antan, 2004) et Alfred Jarry (¡Ubu!, 2000) ainsi que du cinéaste Lars von Trier (Le Royaume, 2019, Le Direktør, 2017), comment Jorge-Luis Borgès intervient-il dans Makers sans pour autant que ses écrits ne soient cités ?

Oscar Gómez Mata : Dans Makers, Borgès est comme une ombre qui plane mais on ne travaille pas directement avec les textes. Un des premiers motifs de ce travail est en fait un livre de l’écrivain et du physicien espagnol Agustín Fernández Mallo qui a écrit un remake de El Hacedor de Borgès.

Est-ce que la véritable origine du spectacle Makers (aux SUBS du 18 au 20 janvier) est une commande du Azkuna Zentroa, centre culturel à Bilbao, et l’envie de travailler avec l’acteur Juan Loriente ?

Jusqu’en juin prochain, je suis associé à cette structure de Bilbao, un centre d’art, de société et culture contemporaine. Je voulais y faire une pièce de théâtre car j’avais déjà fait un programme "performatique " dans cette maison. Avec Juan Loriente, on s’est croisé énormément de fois dans des festivals, nous sommes amis mais on n’avait jamais travaillé ensemble. On n’habite pas très loin, un jour on a mangé ensemble et on a voulu faire quelque chose en duo, c’est aussi simple que ça.

Makers ©Aymeric Demay

Comment définiriez-vous ce projet ? Il est question d’aller au-delà même de la raison via un « maker », un poète …

Je ne sais pas s’il s’agit d’aller au-delà de la raison mais plutôt d’une logique de ce qu’on perçoit de la réalité. « Makers », en anglais ancien, ce n’est pas seulement les gens qui faisaient, des faiseurs – Juan Loriente et moi sommes deux faiseurs de scène qui passons par l’action scénique ; c’est aussi une allusion à cette définition de l’anglais ancien où on disait « makers » pour dire « poètes », ceux qui font de la poésie. Cette définition nous correspond très bien car on a une affection pour la poésie sur scène. On dit qu’on est des poètes de scène car on est tout le temps dans une création de métaphore par rapport à la réalité, c’est-à-dire qu’on part de la réalité, on crée des métaphores, on essaye de voir autre chose, on tente d’amener une autre logique de perception de ce qui nous entoure. On se dit qu’on est un peu des détectives du réel (rires) car, dans la pièce, on essaye de découvrir le sensible caché sous le sensible, les choses qui sont là mais qu’on ne voit pas, qu’on ne perçoit pas.

Les éléments du réel dont il est question sur scène sont très différents : le tableau d’un peintre, l’accélérateur du CERN (organisation européenne pour la recherche nucléaire) en Suisse… Comment faire tenir tout cela dans un même spectacle ?

Ce sont des scènes différentes, des styles de théâtre très différents. Je crois que Makers est une multiplicité de théâtres et de relations, même entre le public et la pièce. Ça tient par nous deux. Au fond, c’est une pièce sur l’amitié, sur la confiance. C’est la trame interne, invisible. Effectivement, on peut parler du CERN, d’un tableau de la Renaissance, de la relation entre rêve et réalité, du temps, de notre relation au temps dans les arts vivants. On parle, évidemment de la pensée, de comment on pense, comment elle est liée à l’action. C’est une pièce sur l’amour et, pour nous deux, c’est fondamental. Et puis c’est aussi un travail sur nos capacités selon cette maxime : avec ce qu’il y a à disposition, on trouve une solution. Il y a l’idée d’adaptation, être perméable à ce qu’il y a autour de nous pour donner une solution, une réponse. C’est la base des arts vivants. Ça devrait être toujours comme ça ! Mais ce n’est pas tout le temps comme ça quand on se met face à un public.

Ce spectacle convoque donc la manière de penser mais aussi par exemple la physique quantique… ça pourrait être très cérébral or ce n’est pas votre volonté. Vous arrivez sur le plateau en tenue lycra du Vélo club de Genève ! C’est très proche du clown dans le fond.

Oui c’est une pièce comique. Je m’étais donné cette tâche. Certains nous disent que nous sommes deux clowns métaphysiques. Par les structures comiques mises en œuvre, par rapport au fait que par le rire on a accès à une autre perception des choses, ça ouvre des canaux physiques pour réfléchir autrement. Depuis toujours, dans mon travail, le rire est une voie d’accès à la connaissance.

Pourtant il est aussi question de dire des choses très sérieuses comme le fait que « la prochaine guerre opposera les riches et les pauvres » annoncez-vous dans vos intentions de travail. On ne dit pas ça à la légère, ça un vrai sens et une vraie réalité.

Oui ça c’est vraiment le début du travail. Ça a existé dans le début de la réflexion mais cette phrase-là n’y est plus.

Makers ©Aymeric Demay

Pour autant, y’a-t-il un propos très conscientisé sur le monde qui ne va pas très bien et sur, par exemple, ce fossé entre riches et pauvres qui se creuse ?

Le propos conscientisé est la base de la relation entre la pièce et le public et cette relation est politique dans le sens où il y a vraiment une volonté de reconnaitre l’autre comme un partenaire, comme quelqu’un avec lequel on dialogue. Ça c’est forcément politique car je crois qu’on vit dans une société qui ne nous reconnait pas trop, où on ne traite pas les individus comme personne qui ressente, qui font des choix. Il y a un énorme besoin contemporain de reconnaissance je crois. C’est comme ça que nous travaillons : pour que les autres se rendent compte qu’ils ont une voix, qu’ils peuvent faire des choix, qu’on les entend. Ça ne veut pas dire forcément qu’on est d’accord mais qu’on traite l’autre de manière digne. Par exemple, hier je voulais rentrer à Genève, j’étais en gare de Lyon, à la Part-Dieu, et tous les trains étaient annulés. La SNCF était incapable de donner réponse aux gens. Ce n’est pas la faute des pauvres employés qui essayent de répondre aux gens, ils sont briefés pour ça. C’est une réflexion sur ceux qui décident en entreprises pour les autres et qui se foutent du monde. Cet exemple se retrouve partout. Il n’y a plus de reconnaissance des gens. Or chacun peut être créateur de sa propre vie sans forcément être artiste professionnel. Les gens ont besoin de ça, ils sont surpris souvent. Ça existe toujours dans ce que je fais. C’est un théâtre politique qui n’essaye pas de donner de morale pour que les gens réfléchissent à ce qu’ils ont envie de faire.

Une autre notion est au cœur de Makers : la lumière. Comment prend-elle place ?

Mettre en lumière c’est mettre d’autres strates de la réalité en lumière. Ça correspond à cette idée dont je parlais précédemment : détecter ce qui est sensible, caché sous le sensible. La lumière est aussi une relation avec le temps. Le fait d’être dans la lumière c’est être non pas dans un temps chronologique mais dans un temps absolu, où on a une autre perception. On pourrait penser que le temps des rêves, le temps onirique est un temps absolu où on peut voyager dans le passé, le présent, l’avenir, où on peut sublimer et s’écarter de cette fatalité du temps qui passe et qu’on ne peut pas arrêter ; vivre de manière autre par moments. C’est métaphorique. La lumière pour nous êtres humains a à voir avec ce dont on est constitué. Un photon est une onde et un corpuscule en même temps. Nous sommes composés de matière de lumière. Un grand scientifique français contemporain comme Michel Cassé, chercheur en théorie des cordes, met toujours en regard la dimension poétique et la science.

Dans le travail global de la compagnie que vous avez fondé en 1997, L’Alakran, la capacité d’innocence ou d’étonnement semble être au cœur de votre processus…

Pas vraiment. Je travaille plutôt sur l’idée qu’un adulte qui joue comme un enfant – c’est-à-dire, qui déborde du cadre du temps – est un espoir pour notre société comme de voir quelqu’un de 50 ans jouer de façon pure et spontanée – c’est le cas de Juan Loriente. Je travaille avec mes interprètes pour trouver cette image de l’adulte qui joue. Mais ce n’est pas faire l’enfant, ce n’est pas seulement un travail sur la naïveté et l’émerveillement. Ça peut provoquer des choses comme ça a été le cas dans ma carrière mais il y a cette image de l’espoir et de liberté de voir quelqu’un d’âgé capable, dans son comportement, de rester lié à une sorte de présent, une sorte d’idée du jeu de l’enfant comme un débordement.

Makers, aux SUBS, du mardi 18 au jeudi 20 janvier à 20h ; 16€ / 13€ / 5€

https://www.les-subs.com/evenement/oscar-gomez-mata-juan-loriente-makers/

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