Damien et Emeric Chazal, génération Nippon

Portrait / Manga forézien / Les deux créateurs montbrisonnais du manga Head Trick sortiront le onzième tome de la saga, le 11 novembre prochain. Entre enthousiasme, anecdotes, parcours jalonné de surprises et sacré grain de folie, les frères Chazal ne seraient-ils pas eux-mêmes tout aussi aventuriers que les personnages qu’ils façonnent ?

Montbrison, un soir de semaine. Dans leurs locaux, les frères Chazal sont débordés. Des centaines de cartons, de grosses machines, des étagères, des figurines, des mangas… Et, au milieu de l’apparente pagaille - en réalité très organisée -, un petit bureau où Damien, le plus grand des frères, griffonne quelques notes sur un petit cahier. « Comme toujours, on est bien occupés en ce moment », s’excuse Emeric, son cadet. Depuis sept ans qu’Head Trick existe, les deux créateurs du célèbre manga ‘’made in Le Forez’’ n’ont jamais trouvé le temps de prendre ne serait-ce qu’une semaine de vacances. « Mais ce qu’on fait nous passionne tellement qu’on ne vient jamais ici en traînant les pieds » lancent-ils, l’œil pétillant. Cet œil, c’est celui de deux adultes qui se sont construit un véritable rêve de gosse, au talent et au culot. Avec bonheur et enthousiasme, ils racontent leur histoire complètement dingue, en détails. Comme si, par moment, ils devaient encore se pincer pour réaliser que ce qui leur arrive est bien réel.

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Imagination débordante

Pour Damien et Emeric, la grande aventure démarre il y a 25 ans. Encore gamins, les deux frères sont, comme des milliers de gamins de cette époque, totalement fascinés par les mangas que matraque Le Club Dorothée du matin au soir. D’une fascination pour l’écran, l’univers manga devient bientôt une obsession. Car, chez les Chazal, lorsque la télé s’éteint, l’histoire se poursuit. « On avait pas mal d’imagination, donc on inventait la suite des dessins animés qu’on voyait à la télé et on la dessinait, se rappelle Damien. Tous les soirs, on créait aussi une histoire pour la raconter à notre petit frère, Jimmy. Et puis, un jour, on a découvert qu’avant d’être un dessin animé, un manga, c’est surtout un livre. Et qu’en trouvant les livres, on pourrait connaître la suite de l’histoire bien plus vite qu’en attendant que les épisodes soient diffusés. »

Le temps passe, et, après avoir disséqué les mangas des autres en long en large et en travers, les deux frangins s’essaient à leur propre univers. Jusqu’à ce fameux jour où, alors qu’ils ont tous deux la petite vingtaine et qu’ils étudient en STAPS à Saint-Étienne, ils décident, sur un coup de tête, de faire un voyage au Japon, pour les vacances de Pâques. « Nous venons d’une famille modeste, ce qui fait que jusqu’ici, nous n’étions jamais vraiment allés plus loin que Saint-Étienne ! Quand on a dit ça à nos parents, ils nous ont pris pour des fous. » Mais, loin de les en dissuader, le père se souvient alors qu’Évelyne, sa cousine, vit au Japon. Un coup de fil à l’autre bout du monde, et les deux rêveurs sont invités à loger chez elle, à Tokyo, durant une dizaine de jours.

Déclic japonais

Et là… deuxième déclic. Au Japon, Damien et Emeric visitent bien-sûr les temples du manga, admiratifs, époustouflés. Mais ils découvrent surtout un autre monde, très codifié, une culture qui les séduit immédiatement. De retour en France, en pleine session de partiels, les frangins comprennent qu’ils ne deviendront pas profs de sport. Que leur vie tournera autour de ce qui les passionne, ou ne tournera pas. Damien file alors à Toulouse, pour intégrer une école d’infographie. Emeric, lui, entre en fac de Japonais, à Lyon. Dans ce nouvel avenir qu’ils sont en train de se construire, les frères Chazal se révèlent. Tant et si bien qu’Emeric sort de son DEUG major de promo, et décroche une bourse pour étudier un an au Japon.

En 2002, le cadet décolle donc, direction Kyoto. Profitant de cette présence sur place, le duo se lance alors dans l’import-export amateur, sur fond de réédition de figurines des Chevaliers du Zodiaque. Grâce à cette petite activité, ils font la connaissance de Mika, un Normand lui aussi fou de manga, et dessinateur de son état. Entre les trois, germe une idée folle : travailler ensemble à quelques planches, et les présenter à une maison d’édition japonaise. « J’ai pris rendez-vous dans la plus grande maison d’édition du Japon, Shueisha, qui édite DBZ, Naruto, One Piece, raconte Emeric. Quand je suis allé présenter notre travail, l’éditeur a adoré. Il ne voulait pas croire que nous étions tous français. Et il a fini par nous commander un pilote. » Incrédules mais fous de joie, les trois compères se remettent alors au travail et, quelques temps plus tard, retournent voir l’éditeur. « Il a trouvé ça très bon. Mais il a néanmoins refusé le projet, grogne Damien. Plus tard, on a appris qu’en fait, l’édition dans laquelle il voulait la publier avait été totalement remaniée, et que notre manga ne pouvait pas y trouver sa place. »

Internet, l’étude de marché

Rentrés en France, les deux frères, un peu refroidis, décident de relancer leur affaire d’import-export de produits dérivés japonais, mais cette fois-ci, de manière professionnelle. Pourtant, l’idée du manga est toujours là. Et puis, surtout, l’histoire qu’ils auraient envie de raconter commence à prendre forme. « On s’est rendu compte qu’il n’existait pas de mangas mêlant le sport et l’aventure. C’est comme ça qu’on a commencé à conceptualiser Head Trick. L’histoire d’un type, Ed, qui va rejoindre une équipe de foot, et à qui il va arriver des tas d’histoires. »

Et puis… rebelotte. Grâce à leur activité professionnelle, les frangins font la connaissance de K’Yat, un dessinateur belge à qui ils présentent le synopsis d’Head Trick. Ensemble, le trio lance le manga, exclusivement sur Internet, en guise d’étude de marché. En quelques mois, le site compte 20 000 abonnés. Assez pour que les trois compères croient en leur chance. En février 2011, ils créent leur maison d’édition, dans les locaux de Montbrison. Le premier tome est édité à 18 000 exemplaires. Sept ans plus tard, le onzième s’apprête à sortir. Entre temps, les Chazal ont définitivement laissé tomber l’import-export et sorti leurs propres produits dérivés. En 2017, Hachette est devenu leur distributeur. Les dix précédents tomes ont donc été réédités, en milliers d’exemplaires. Au lancement d’Head Trick, Jimmy, le petit frère, a quant à lui rejoint l’aventure, en tant que directeur éditorial. Et aujourd’hui, c’est toujours à lui, que les deux plus grands racontent leurs histoires avant de les coucher sur le papier.


Repères :

1992-1997 : Adolescents, Damien et Emeric découvrent les mangas avec Le Club Dorothée.
2000 : "Décision historique" : les 2 frères font leur 1er voyage au Japon. Damien a 21 ans, Emeric, 19.
2002 : Emeric s’envole pour passer un an à Kyoto
2004 : Les 2 frères proposent un projet de manga à la plus grande maison d’édition japonaise. Il est refusé, mais l’éditeur est bluffé par leur talent.
2009 : Rencontre avec le dessinateur K’Yat, lancement d’Head Trick sur le net.
2011 : Lancement de la maison d’édition, et du 1er tome d’Head Trick sur papier.
2017 : Hachette devient le distributeur d’Head Trick.
Novembre 2018 : Sortie du onzième tome

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