Bullhead

D’une sombre histoire de trafic d’hormones en Belgique, Michaël R. Rostram tire, dans cet époustouflant premier long-métrage, une tragédie familiale et existentielle d’où émerge un héros singulier : Jacky Vanmarsenille, incarné par l’impressionnant Matthias Schoenaerts. Christophe Chabert

Il y a quelques années, en plein déballage des affaires de dopage dans le cyclisme, on parla de «pot belge» pour désigner le cocktail de produits que s’injectaient les coureurs pour booster anatomie et performances. Moins connu par chez nous, à la même période et toujours en Belgique, un fait-divers fit sensation : le démantèlement d’un réseau organisé de trafic d’hormones bovines. C’est de ce dernier dont Michaël R. Roskam, qui fait une entrée remarquée dans le cinéma européen avec ce premier film estomaquant, s’inspire dans Bullhead ; mais impossible de ne pas penser, devant les pratiques intimes de son héros Jacky Vanmarsenille (Matthias Schonaerts, bien plus fort que Jean-Claude Van Damme dans le registre taiseux musculeux), à l’illustration monstrueuse de ce qu’est un pot belge. Sauf que lui ne cherche pas à gagner des courses, juste à soigner un problème de virilité lié à un terrible «accident» survenu quand il était enfant.

Vache de vie !

Si Bullhead se présente comme un polar mafieux tout ce qu’il y a de plus classique, avec ses familles rivales, ses hommes de main violents, ses flics aux aguets et son mouchard infiltré, Roskam dynamite les conventions par la situation géographique de l’histoire (quelque part entre la Flandre occidentale, Liège et le Limbourg, c’est-à-dire au carrefour des tensions entre flamands et wallons), le boulot des protagonistes (des éleveurs de vaches, avant tout) et la souffrance existentielle de son héros. Avec une fluidité constante, le cinéaste imbrique toutes ces données dans un récit d’une ambition extrême, variant les registres (de la comédie avec les deux carrossiers wallons, à la tragédie avec la fille dont Vanmarsenille est amoureux mais qui lui est doublement interdite) et unifiant l’ensemble par une mise en scène en état de grâce, dont l’apogée reste l’explosion de violence finale digne d’un Nicolas Winding Refn. Loin de survoler les choses, il fouille jusqu’aux recoins les plus sombres pour démêler les nœuds du drame : amitié trahie, homosexualité cachée, jalousie dévorante, vengeance occultée, pression familiale, haine entre communautés… À ce titre, Bullhead a des allures de saga sur la Belgique actuelle, mais rapportée au destin d’un homme qui ne pense qu’à regagner sa dignité perdue. Comme ce héros inoubliable, Bullhead frappe très fort !

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