A working hero qui a la classe

Jacques Bonnaffé, celui qui va "écrire oralement" les mots de Jean-Pierre Verheggen à la Comédie, demeure un acharné de l'exigence théâtrale. Quelque part entre Paris et Saint-Etienne, Desproges et Rousseau, retour sur une rencontre téléphonique, athlétique et franchement sympathique. Propos recueillis par Grégory Bonnefont

Jacques Bonnaffé, on vous a vu récemment à l’affiche dans le Problème, vous avez également suivi les élèves de l’école de la Comédie : vous êtes un habitué de Saint-Etienne. Quel regard portez-vous sur la ville ?
Je suis assez ému par ses métamorphoses. Elle a à la fois gardé son authenticité et son histoire forte en elle qui fait son caractère et pourtant elle est en pleine transformation. C’est assez enthousiasmant. Je la trouve assez moderne.

On connaît vos origines et votre amour de la Région du Nord. Quelles valeurs communes retrouvez vous ici et là-bas?
Cela m’a toujours touché depuis longtemps : des espèces de coïncidences, de chances, d’images croisées. Je sais ce qu’est une ville ouvrière, je sais ce qu’est la nature ouvrière, dans la manière de comprendre la société, de comprendre les rapports humains. Il y a une façon directe d’envisager les choses, un contact au réel. Je perçois bien l’envie de rencontre des spectateurs. Le théâtre n’est pas un lieu hautain mais accessible à toutes les rencontres.

Que reste-t-il du théâtre populaire aujourd’hui ?
Ma nature au théâtre serait d’aller de l’avant. Je ne cherche pas les souvenirs. Le théâtre est alourdi par les souvenirs. Même si c’est la fonction du théâtre. Il y a eu du nouveau à Saint-Etienne : l’Ecole du design, le musée d’art moderne, que j’ai été heureux de revisiter, le musée de la mine. Ce sont des lieux qui ont une vigilance quant à l’Histoire mais qui sont tournés vers l’avenir comme la Comédie.

Pouvez-vous revenir sur votre rencontre avec Jean-Pierre Verheggen ?
C’est quelqu’un qui a une langue très libre, le spectateur le ressent comme ça, on peut la manipuler dans tous les sens.

Comme un matériau ?
Oui. Il permet beaucoup d’inventions en scène. Je ne me gêne pas.  On est  très « frangin », très ami, il m’a laissé un peu libre du montage, de toutes les fantaisies qu’on peut faire avec. J’aime beaucoup cet auteur. Je n’aime pas le narcissisme du one man show, quand il s’agit de raconter sa vie, ça ne me concerne pas, parce que ça devient de plus en plus…

…Nombriliste ?
Oui, le seul horizon de ces seuls en scène. Au théâtre je crois qu’on doit raconter le monde et pas son nombril effectivement. La grosse menace d’aujourd’hui c’est l’individualisme. J’aime tout ce qui se lâche dans la pensée. Quand le propos a du courage, il donne du courage. Et lui a de l’humour, c’est un musicien de la langue. Il a des titres un peu fou ; le premier bouquin sur lequel je suis tombé : « degré Zorro de l’écriture ». Sa réputation, c’était un provocateur, un mec un des plus extravagants dans la poésie. Verreghen travaille dans la littérature, elle a pour vocation l’oralité. De même que derrière Pierre Desproges on sent un écrivain. De l’autre côté il y a les tchatcheurs, les bonimenteurs, qui ont  de l’esprit, de la répartie. Le travail de Verreghen est dans l’écriture. Sinon il n’y a pas d’écriture, il y a la tchatche. Lui c’est un acharnement à se servir de smogs au mieux. Moi, mon travail c’est de donner parole à l’écriture, c’est écrire oralement. Ça veut dire déplacer constamment les choses. L’oralité c’est une modulation. C’est une sorte de changement, de vibration. Il faut réécrire en quelque sorte avec la parole. C’est un poète de l’oralité. Un poète de l’ « ouïssance », a-t-il dit un jour en rigolant.

Vous pouvez  nous en dire plus sur l’ « ouïssance » ?
C’est ce que je disais aux élèves, passer pas mal de temps à comprendre. Il faut savoir, à force de relecture, ce qui est dit en dessous des mots, en dessous du texte. Et chaque détail dans les textes doit être explicable. D’un côté c’est une familiarité avec l’auteur, une complicité. De l’autre il y a beaucoup de références cachées, des échos de la langue. Ces gens-là, Verreghen/Beckett : même combat ; ils ont beaucoup d’oreille, ils ont entendu des choses, ils rejouent avec la langue des autres. C'est savoir comprendre pour entendre ce qu’il y a sous les mots. Vous me parliez de la voix, mais le phénomène de la voix vient du fait qu’on ne parlerait pas seul dans les bois. Il faut transmettre et vibrer. Et la voix c’est le corps, donner corps. Il y a un engagement corporel très important qui me permet de trouver ensuite ce que je veux faire.

Votre jeu de scène témoigne en effet d’un engagement physique important.
Je suis habitué à pousser assez loin. Il y a une forme d’athlétisme en scène. Des fois on va me dire : « c’est trop exhibitionniste ! ». Mais c’est en fait un second degré. Il n’y a pas la volonté d’établir une performance sportive avec des records. On appelle ça, entre nous avec Jean-Pierre, faire l’athlète de foire. Cela veut dire faire l’Hercule, portrait de l’artiste en Hercule de foire. Il y a beaucoup d’exhibition, de démonstration avec les gestes, ça ne veut pas dire que je joue beaucoup avec les mains. Il y a un engagement physique très fort.

Vous jouez beaucoup avec votre mâchoire?
Si on veut oui.

Dans quelle mesure votre performance peut-elle se rapprocher de l’excès, cher à Olivier Py?
Je suis obligé effectivement d’abord d’abonder dans son sens. Le théâtre c’est effectivement soulever le couvercle, le faire sauter, mais je n’aime pas trop les excessifs, les illuminés. Il me faut un travail réaliste, différent du lyrisme de Py, j’aime bien garder les pieds sur terre.

Au-delà du jeu de mot, quelles sont les clés du titre «L’oral et hardi» ? On sent cette relation forte qui vous unit à Jean-Pierre Verreghen.
C’est moi l’oral et c’est lui l’hardi. Lui n’est pas en scène. C’est le hardi. On aime bien les mots à plusieurs sens, ou «poly-phoniques»,  avec plusieurs contenus, le côté burlesque nous va bien.

Créé en 2007, comment a évolué ce spectacle que vous avez maintes et maintes fois interprété ?
Il avance beaucoup. Il y a des circonstances à ça. J’ai eu le grand avantage, le plaisir et l’honneur de jouer pour la décentralisation de Saint-Etienne. Donc des fois les salles changent. On ne peut pas jouer le même spectacle. A force de le changer il évolue bien.

Il serait question d’un «discours de campagne d’un éventuel non candidat probable». Intéressant en pleine campagne électorale. Quel regard portez-vous sur le discours politique?
Le spectacle est très politique, poétique. Ces mots là «non candidat…», c’est qu’au début je faisais d’abord des allocutions, je commençais  et je ne m’arrêtais plus de parler. Les propos étaient surréalistes, un peu dingues, parce que ça partait dans tous les sens. Dedans il y a une moquerie envers les discours, les allocutions, la rhétorique politique, son manque de courage aussi. A un moment dans le spectacle, il y a un vrai manifeste sur l’envie de pouvoir tout dire, tout oser, tout oser dire.

Comment analysez-vous la place de la culture dans notre société?
La culture il faut la donner à tous. Les gens attendent. Parfois ils en ont marre de la médiocrité. Ils le formulent de toutes les façons possibles. Mettez-y un peu de culture. Je suis très surpris de voir les gens qui vont vers des choses difficiles et complexes. Il y a de l’avenir derrière ça. Il y a une activité énorme qui se multiplie autant dans le domaine du savoir que du plaisir. J’aime la venue d’Arnaud Meunier (NDLR : le Directeur du CDN stéphanois). Il est très attentif aux engagements culturels, de faire en sorte qu’il y ait un échange.

Vous parliez de l’avenir. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes désireux de s’engager dans une carrière théâtrale?
Pas grand chose. Simplement qu’il faut être en forme le matin. Faut pas croire qu’on fait bien ce métier le soir. Quand on a vingt ans, il faut être en forme le matin. Ce n’est pas dans la tête, c’est extrêmement physique comme métier.

Aller de l’avant, l’avenir… Comment vous renouvelez-vous pour parvenir encore et toujours à « raconter le monde » ?
Ça fait partie d’un entraînement. Il y a des fois où je m’effondre, des fois où je compte sur mes réserves, mais ce n’est pas si simple, comme tout le monde je ne suis pas mécanique. Je suis obligé de comprendre ma propre machine et puis la ré-entraîner. Je reste un débutant. Je pratique beaucoup les textes par ce que je les comprends mal. En les relisant je les comprends mieux. Et puis il y a ce qu’Aristote appelait l’étonnement ; si on garde de l’étonnement, ça va. S’étonner de choses simples, pas de la dernière machine Box de chez Sony, non. Il ne peut pas il y avoir de pensée sans étonnement.

Comment le monde ouvrier vous a-t-il permis de devenir le comédien que vous êtes ?
Il ne faut aucune démagogie là-dedans. Le peuple, pendant les élections on parle beaucoup du peuple, on l’a beaucoup endormi à force de jolis mots. Je ne vais pas dire : «j'aime les ouvriers, ils sont beaux, ils sont sympas». Il y a autant de cons chez les ouvriers que dans d’autres milieux. Mais il y a un moment où il y a une confrontation à la banalité et la rigueur, une certaine contingence qui fait qu’il y a quelque chose que j’aime bien dans l’honnêteté de ce monde. J’ai commencé à travailler sur des spectacles populaires, avec des personnages de littérature populaire, en chtimi, que je suis venu jouer à la comédie de Saint-Etienne plusieurs fois. Car ces héros du nord quand on les découvre, on se rend compte qu’on ne leur donne jamais la parole. C’est curieux, elle est toujours réinterprétée, mais ce ne sont jamais eux qui parlent. Même Zola qui est allé très loin, c’est lui qui parle, ce ne sont pas les ouvriers.

Pouvez-vous revenir sur votre personnage dans Le Problème?
Il a une façon de s’en sortir qui mêle  à la fois l’humour et la douceur, comme le dit Bégaudeau. Une façon de sécher ses larmes qui me ressemblait bien.

Jacques Bonnaffé se sent-il plus proche de San Antonio ou de Saint Antoine?
Je ne peux pas choisir, le manifeste de Jean-Pierre (NDLR : Verreghen) se situe entre les deux. Je ne suis absolument pas San Antonio. L’insistance absolue, experte, à pratiquer l’argot et ses grosses blagues  me tombe des mains. Quand c’est sous la forme d’un bouquin, le bouquin me tombe des mains. J’aime bien Saint Antoine mais je ne peux pas me reconnaitre en lui, j’ai fait trop de conneries.

Une actualité particulière?
Je suis en train de tourner avec Agnès B, la créatrice de mode qui réalise un film qu’elle avait depuis longtemps envie de faire. C’est un road movie, l’histoire d’une petite fille emportée par un camionneur, je suis le père de cette petite fille. Il y a aussi mon spectacle avec Vincent Roca. Des choses par-ci par-là, les unes sont militantes, les autres sont politiques. Je suis aussi rousseauiste pour le tricentenaire. Est-ce que c’est encore possible d’être rousseauiste malgré l’état des lieux ? Ce qui est curieux c’est l’obligation, le code de morale qui l’a transmis est encore très en place, les questionnements. Quand on le raccourcit trop, on croit qu’il y a un malentendu, on croit qu’il nous parle de la nature et de la bonté alors que c’est plus compliqué, c’est pas parce que l’homme est bon ou parce qu’il n’aime pas la nature. Il y a aussi des aspects complètement irritants, c’est très bien, c’est très français d’ailleurs, et il ne s’en cache pas.

Je me risque à un jeu de mot, est-ce qu’une «bonnaffé» s’est penchée sur votre berceau ?
Ha! oui!

Vous validez le jeu de mot?
Oui ! Chaque année pour les vœux  je dis : «bonnaffé  et bonne santé» ! Eventuellement je me permets de glisser des vœux de fée en proposant de réaliser trois de vos vœux cette année…

L'oral et hardi, du 25 au 27 avril, Théâtre Jean Dasté, 20h

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