Un réel en jeux

Le mois d’octobre cinématographique sera placé sous le signe de la frontière brouillée entre le réel et sa représentation, de Ozon aux Taviani en passant par Garrone et le nouveau venu Juan Carlos Medina. Christophe Chabert

Une semaine avant la Palme d’or cannoise, l’Ours d’or berlinois sortira lui aussi en salles, avec moins de tintouin. Dommage, car non seulement César doit mourir (17 octobre) marque la renaissance des vénérables frères Taviani, mais il est le plus beau résumé de la question qui traverse les films de ce mois d’octobre : comment l’art peut transcender l’étroitesse du réel. César doit mourir raconte la création par les détenus d’une prison de haute sécurité du Jules César de Shakespeare ; le film débute par la représentation (en couleurs), puis revient en arrière (et en noir et blanc) sur les auditions et les répétitions. Choc d’abord en découvrant le talent fulgurant de ces "acteurs", pour la plupart condamnés à de lourdes peines. Puis fascination lorsque les Taviani, dans un geste fort, mêlent le texte shakespearien au quotidien des prisonniers, si bien que l’on ne sait plus ce qui appartient à l’un ou à l’autre.

Un autre cinéaste italien s’interroge sur la réalité et la fiction, Matteo Garrone, jusqu’à en faire le titre de son film : Reality (3 octobre). Il organise le combat entre le cinéma d’un côté et la télévision de l’autre. À travers cette fable où un modeste poissonnier napolitain se persuade jusqu’à la folie qu’il peut devenir une star de la télé-réalité, Garrone hésite entre satire, hommage à la comédie italienne et peinture inquiète d’une névrose contemporaine, mais marque des points par sa mise en scène et son dialogue, fluides et enlevés, ainsi qu’avec son acteur, Aniello Arena, lui aussi sorti de prison le temps du tournage — un particularisme transalpin?

Manipulation(s)

Dans la carrière sinueuse de François Ozon, Dans la maison (10 octobre) fait figure de petit manifeste à la fois ludique et théorique, où un prof de lettres blasé (Luchini, comme un poisson dans l’eau) se pique d’affection pour un de ses élèves, lancé dans une rédaction sur un membre de sa classe dont il jalouse la vie de famille idéale. Qui manipule qui ? Le mentor ? Son disciple ? Ou Ozon lui-même, dont la maîtrise amuse mais pose aussi question : ne joue-t-il pas avec ses personnages comme avec des pantins, pour le plaisir de la partie mais sans aucune empathie ? De l’empathie, Juan Carlos Medina n’en manque pas. Disons-le, Insensibles (31 octobre) est une (première !) œuvre ample, ambitieuse, d’une irréprochable direction artistique et d’une grande complexité. Plus encore, à travers les codes du cinéma fantastique et un récit éclaté sur deux époques, Medina interroge la fracture non cautérisée de la guerre d’Espagne et ses secrets monstrueux qui refont surface. On en ressort sonnés, bouleversés et terrifiés. Son titre est trompeur : Insensibles ne laissera personne indifférent.

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