Star Trek : Into Darkness

Star Trek Into Darkness
De J.J. Abrams (ÉU, 2h10) avec Chris Pine, Zachary Quinto...

J. J. Abrams fait encore mieux que le premier volet avec ce nouveau Star Trek, blockbuster autoroute sans temps morts, qui ne cherche pas à être autre chose que ce qu’il est : un morceau de mythologie transformé en récit survolté et spectaculaire. Christophe Chabert

Nouvelle mission pour le capitaine Kirk et le Docteur Spock : venir en aide à une peuplade primitive menacée d’extinction par un volcan en éruption. Tandis que Kirk cavale sur terre pour rejoindre l’Enterprise, Spock se téléporte au cœur du volcan pour y placer une bombe qui viendra l’éteindre. Dans le crescendo des dix premières minutes d’Into darkness se joue déjà toute la virtuosité de J. J. Abrams : chaque personnage porte son enjeu, et leurs interactions créent une multitude de conflits qu’il faut résoudre. Spock, le Vulcain garant de la règle et de son strict respect, se heurte à Kirk pour qui la réussite d’une mission et la préservation de son équipe vont de pair. Tout cela est raconté avec une myriade de péripéties, de l’action et un suspens constant, sans parler d’une 3D maîtrisée — on me souffle que la version IMAX est encore plus impressionnante — et d’une remarquable direction artistique — la flore est rougeoyante, les indigènes ont la peau blanche comme du plâtre écaillé et les yeux noirs sans pupille.

Mais il y a plus : ce peuple vit encore dans la vénération d’idoles archaïques, représentées sur un parchemin que l’on déplie comme on dressait un antique écran de cinéma au temps des frères Lumière. Lorsqu’elle est confrontée à la vision de l’Enterprise qui sort de l’océan et s’élève dans les airs, elle bascule dans une nouvelle croyance, celle du cinéma du XXIe siècle et des effets spéciaux numériques. Entre les deux, pourtant, quelque chose ne change pas : le besoin de raconter le monde par les images pour croire dans un grand récit.

Dans le fond, tout le cinéma d’Abrams tend vers cette idée, elle-même héritée de Spielberg. Dans Lost, les vidéos informatives du projet Dharma semblaient détenir une puissance ésotérique qui, une fois décryptée, aurait pu révéler les secrets de l’île ; dans Super 8, les films amateurs tournés par les enfants contenaient une vérité que le reste du monde ne voulait pas voir ; l’introduction d’Into Darkness est l’aboutissement de cette quête de l’image magique. Le reste du film ne sera que la pratique de cette théorie, à savoir un modèle de blockbuster qui avance dans le spectacle à la condition exclusive que celui-ci vienne consolider la mythologie mise en place par le cinéaste, dans la droite ligne du Star Trek original de Roddenberry, dont il construit méticuleusement une généalogie.

Festival de Khan

Ici, l’enjeu est double : d’un côté, creuser les relations entre Spock et Kirk ; de l’autre, propulser au cœur de l’intrigue le méchant iconique de la série, Khan. Sur le premier versant, Abrams se plait à introduire un sous texte bien vu sur la vérité des sentiments qui relient le docteur et le capitaine. De fait, la manière dont le film laisse de côté ses personnages féminins, amante délaissée (Zoé Saldana) ou nouvelle recrue pourtant pulpeuse (Alice Eve) dit bien que cette suite est du genre mâle. Mais des mâles à la virilité déréglée, puisqu’on assiste à un ballet plutôt curieux entre un Kirk qui passe son temps à prendre des raclées et un Spock qui descend de son piédestal pour lui venir en aide, jusqu’à ce que leurs mains se joignent pour signer un peu plus qu’une amitié.

Si Kirk et Spock incarnent donc le «Into», Khan, lui, prend en charge le côté «Darkness». Super méchant comme on n’a plus tellement l’habitude d’en croiser dans les blockbusters, à la fois invincible et vraiment inquiétant (merci Benedict Cumberbatch, dont la rigidité glaciale et la voix d’outre-tombe donnent tout son caractère menaçant au personnage), il tient autant du génie du mal prônant le chaos et la destruction que de l’ennemi intérieur né d’une hasardeuse expérimentation scientifico-militaire. Le scénario oblige d’ailleurs les "gentils" à pactiser avec leur nemesis, dans une alliance temporaire qui rappelle celle entre Magneto et le Professeur Xavier dans un autre grand blockbuster, X-Men 2.

La manière dont Abrams introduit le danger est une autre illustration de son sens redoutable du storytelling : en deux scènes, il montre comment Kahn parvient à retourner un des membres de l’alliance à sa cause, le poussant à commettre l’attentat qui enclenchera sa machination diabolique. Pas besoin de souligner les choses, il lui suffit d’un magistral enchaînement de plans sans dialogue apportant tous une information déterminante pour aboutir à l’explosion finale. Into darkness regorge de ce type de fulgurances, mais c’est surtout l’autoroute démente qu’il trace à coups de morceaux de bravoures et de climax tétanisants qui le place en modèle absolu du genre.

Ce qu’être un blockbuster veut dire

Depuis un an, on ne cesse de se plaindre des blockbusters actuels avec cette formule : ils cherchent à faire rentrer des carrés dans des ronds. Des films schizos qui veulent à la fois dire quelque chose de l’époque, psychanalyser leurs héros, faire de la métaphysique et assurer le quota de pyrotechnie justifiant leur budget, s’enfoncer dans la noirceur et séduire les enfants de 7 ans. The Dark knight rises, Skyfall, Iron Man 3 ou Oblivion souffraient en fait du même mal : ils oubliaient que l’essence même du spectacle ne tient pas à des idées ou des effets spéciaux mais à une histoire et des personnages. C’est en cela qu’Abrams prend une sacrée longueur d’avance sur ses concurrents : Into Darkness est un film excellemment raconté, où l’action n’est jamais déléguée à une froide démonstration technologique, où les enjeux les plus sombres ne contaminent sa santé cinématographique.

Ce n’est pas un hasard si Abrams a choisi de tourner son film en pellicule, avec un grain très visible dans les à-plats colorés et les textures des peaux, comme une résistance au tout numérique, laissé ici à sa juste place, habillage invisible plutôt que remplissage trop voyant. C’est une autre lecture possible de son introduction-déclaration d’intention : du dessin primitif au space opéra contemporain, en passant par ce spectacle tout bête qui consiste à filmer en 35 mm des acteurs qui jouent un rôle, c’est bien la même foi enfantine dans le cinéma qui circule, celle de raconter des images en histoire et de faire semblant d’y croire.

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