Le Congrès

Ari Folman va là où on ne l’attendait pas après «Valse avec Bachir» : une fable de science-fiction qui interroge le futur du cinéma et mélange prises de vue réelles et animation vintage. Ambitieux, inégal mais souvent impressionnant, «Le Congrès» est aussi un formidable hommage à son actrice, Robin Wright. Christophe Chabert

La mort du cinéma, annoncée depuis maintenant trois décennies, produit ce curieux paradoxe : chaque fois qu’un metteur en scène s’empare du sujet, il en tire une œuvre qui, à l’inverse, semble célébrer ses capacités de résistance. On se souvient du Holy motors de Carax, mais c’est aussi le cas du Congrès d’Ari Folman. Pas d’ambiguïté sur le discours du film : ce monde où les studios proposent aux acteurs de signer le «dernier contrat de leur carrière», avant de les scanner intégralement puis d’utiliser leur image dans des productions sur lesquelles ils n’ont plus aucun droit de regard, ressemble à une extrapolation cauchemardesque du passage au numérique actuel. C’est ce que décrit le premier acte du film, très impressionnant : Robin Wright, dans son propre rôle, est pressée par son agent (Harvey Keitel) et par le chef particulièrement odieux et inculte du studio Miramount (Danny Huston) de mettre un terme au lent calvaire qu’est devenu son parcours de comédienne en acceptant ce deal à la fois monstrueux et salvateur.

Le choix de Robin Wright est la première grande idée du Congrès : plus tout à fait jeune, mais pas encore fanée, pas vraiment star, mais pas has been non plus, elle représente ces actrices qui tentent de survivre au jeunisme hollywoodien par la seule force de leur talent et la sincérité de leurs choix. Dans le premier plan, une larme coule sur sa joue, signe que quelque chose d’organique fonctionne encore derrière l’image pixelisée. L’œil est comme le dernier rempart de la vérité humaine : le clone scanné de Michelle Williams, qui sert de bande-démo pour convaincre d’autres comédiens de se soumettre à cette nouvelle technologie, n’a qu’un «bug», son œil cligne inconsidérément lorsqu’il «joue» ; et le fils de Wright, après avoir perdu partiellement l’ouïe, est atteint d’un syndrome qui, à terme, le rendra aveugle. D’un côté, l’œil démasque le faux-semblant ; de l’autre, il se ferme à mesure que le monde se réfugie dans les simulacres virtuels.

Crépusculaire dans son propos, Le Congrès ne l’est pourtant jamais dans sa mise en scène. Ari Folman, qu’on avait découvert via un documentaire animé de fameuse mémoire — Valse avec Bachir — s’y révèle comme un formidable cinéaste de fiction en prises de vue réelles. Le début du Congrès crée du spectacle avec peu de choses, utilisant intelligemment tous les éléments présents dans les plans : le hangar désaffecté transformé en loft et jouxtant une piste d’atterrissage, par exemple, est une idée brillante. Et la séquence, admirable, du «scan» de Robin Wright provoque un grand frisson émotionnel qui tient autant à la performance de la comédienne qu’au dispositif technologique, à la fois froid et fascinant, qui l’entoure.

L’avenir d’une illusion

Au terme de cette première partie, Folman ouvre une ellipse de 20 ans dans son récit. La même Robin Wright se rend à tombeau ouvert au «congrès de futurisme» donné par Miramount pour faire le point sur l’expérience à laquelle elle a participé, renouveler son contrat et passer à un nouveau stade de cette déshumanisation de l’acteur, où celui-ci n’est plus qu’une fragrance que les spectateurs ingèrent pour se retrouver dans la peau de leurs idoles. Le réalisateur opère alors un coup de force scénaristique impossible à justifier narrativement : le film bascule dans l’animation, les personnages se retrouvent dans un univers dessiné qui n’a rien à voir avec le photoréalisme promis, mais plutôt avec les antiques cartoons des débuts du cinéma.

Le Congrès se rapproche alors du roman de Stanislaw Lem dont il s’inspire : un monde qui tient autant du psychédélisme sous LSD que de la fable d’anticipation. Ce n’est pas la meilleure part du film, tant elle souffre d’un trop plein visuel et signifiant qui, s’il traduit l’ambition de Folman, n’en montre pas moins ses limites de narrateur. On voit bien ce qui est en jeu ici : l’image animée primitive comme réponse à la facticité numérique actuelle, demandant un acte de foi de la part du spectateur plutôt que s’appuyant sur une tentative pour l’abuser. La Robin Wright dessinée n’est pas sa reproduction virtuelle, c’est encore et toujours Robin Wright, et même lorsqu’elle se propulse dans des univers où le rêve permet de repousser les limites figuratives — mains se transformant en ailes, immeubles se déracinant pour s’envoler dans le ciel — c’est bien la résistance du cinéma que le film célèbre.

N’empêche : la confusion règne à l’écran, et la ligne claire qui sous-tendait jusqu’ici le film — une mère qui cherche par tous les moyens à sauver son fils — est soudain submergée par des considérations philosophiques et des arabesques de formes aux couleurs saturées fatigantes sur la longueur.

Élévation

Folman, toutefois, a gardé quelques cartouches pour la dernière partie du Congrès, la plus belle. Où le film revient sur terre, dans le monde des images et de la chair, mais comme métamorphosé, bouleversé par ce détour onirique et fantastique. Où la tristesse s’empare de son héroïne, découvrant les dégâts qu’elle a causés à cause de ce pacte freudien, contribuant à la zombification des masses et perdant l’espoir de retrouver ce fils qu’elle a pourtant tout fait pour protéger. Les visions de Folman sont proprement hallucinantes, et Le Congrès se teinte alors d’un lyrisme peu commun, soutenu par la superbe partition composée par Max Richter.

Le final est inoubliable, moment d’élévation qui réunit les deux parties du film dans un même geste où c’est bien le regard qui une fois de plus triomphe du temps et de l’espace, créant un paradoxe qui est aussi une forme de réconciliation. On l’a dit : si Le Congrès évoque sans détour la disparition du cinéma, Folman met toutes ses forces dans la bataille pour lui faire explorer de nouveaux territoires. Cette générosité-là accouche d’un film monstre, hybride et inégal mais particulièrement stimulant.

 

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