Elysium

Une fable futuriste sombre, furieuse et politique, nourrie à la culture cyberpunk et filmée par le cinéaste de District 9 : une réussite qui tranche par son ambition thématique et son absence de compromis avec les superproductions américaines actuelles. Christophe Chabert

On dit que tout succès repose sur un malentendu ; dans le cas de Neill Blomkamp et de son District 9, cela paraît aujourd’hui indéniable, le concept du film ayant sans doute pris le pas sur la réalité de ce qui était montré à l’écran. Son futur pas si lointain, sale et gangrené par la lutte des classes passait par une métaphore de SF où les aliens étaient les nouveaux immigrés, exclus et brimés. Le futur d’Elysium, second et fulgurant long-métrage de Blomkamp, est plus éloigné, mais cette fois-ci, le cinéaste n’a plus besoin de passer par une parabole, aussi astucieuse soit-elle, pour en montrer le cauchemar : les pauvres errent dans les décombres d’une Terre ravagée par la pollution et la surpopulation, tandis que les riches ont construit une station spatiale baptisée Elysium, verdoyante et à l’abri de la maladie ou de la violence.

Saisissantes, les premières images opposent les taudis terrestres poussiéreux aux jardins orbitaux radieux. À l’inverse du raté Oblivion, qui partait d’une idée similaire, Blomkamp refuse de s’en tenir à l’invention d’un univers qui réduirait sa mise en scène à un exercice de production design. Les ruines du film sont grouillantes d’humanité, les décors sont recouverts de crasse et de tags, et même les corps, qui deviendront l’enjeu majeur du récit, sont marqués par des tatouages et des cicatrices. C’est là que l’on découvre le héros, Max (Matt Damon, dont la carrière passionnante lui permet aujourd’hui de s’aventurer chez les meilleurs auteurs du cinéma américain, dans le mainstream comme dans l’intimisme), délinquant repenti devenu ouvrier modèle, rêvant de partir pour Elysium afin d’honorer la promesse faite à son amie d’enfance.

Max travaille dans une usine qui fabrique des droïdes sécuritaires, ironie quasi-marxiste de l’aliéné qui met sa force productive au service de ce qui l’aliène. Alors que des mouvements souterrains tentent de pénétrer l’espace d’Elysium, Max garde son cap, jusqu’à ce qu’un accident le soumette à une dose mortelle de radioactivité, lui laissant sept jours à vivre, à moins de rejoindre la résistance et d’espérer s’introduire dans la station sidérale.

Machines sociales

Le corps de Max devient alors le centre de toutes les intrigues du film, et permet à Blomkamp de retrouver la dimension cyberpunk déjà ébauchée lors de la dernière partie de District 9. Dans l’imaginaire du cinéaste, un être humain est soumis à de multiples hybridations, pouvant être à la fois une arme et une base de données numériques, autrement dit un alliage de chair et de machine. Quelque part du côté de Cronenberg ou de Verhoeven, avec une touche de William Gibson, Blomkamp crée de stupéfiantes visions qui impriment durablement ses choix de mise en scène.

Lorsqu’il s’aventure dans les grands moments d’action du film, la pesanteur de ces corps mécanisés se fait sentir, les coups sont lents, lourds, et lorsque la chair est atteinte, elle est ramenée à sa matière première — les corps volent en éclats, démembrés ou défigurés, excès hardcore là encore à l’opposé de l’aseptisation actuelle des blockbusters. Ces morceaux de bravoure, Blomkamp les filme en testant les limites de la lisibilité visuelle, tout en sachant très bien où il doit s’arrêter — s’il est à l’opposé d’un Guillermo Del Toro, il n’est certainement pas Michael Bay. D’ailleurs, les premières séquences où les insurgés débarquent sur Elysium montrent aussi l’intelligence du cinéaste dans le maniement de ses outils ; alors qu’il privilégiait la caméra à l’épaule lors des scènes terrestres, le voilà qui vire à 180 degrés en préférant de fluides mouvements à la steadycam, soulignant par la mise en scène le contraste entre cet éden et l’enfer duquel on vient de s’extirper.

Un punk à Hollywood

Film rageur, qui rumine une colère envers le monde que l’on n’a vraiment plus l’habitude de voir à Hollywood, Elysium est l’œuvre d’un cinéaste punk mais foncièrement doué, qui ne cesse d’injecter des détails forts pour enrichir son propos. Ainsi des langues parlées dans le film : l’espagnol sur terre, signe d’une immigration devenue majoritaire, tandis que sur Elysium, c’est plutôt le Français et l’Anglais, langue des colons, qui dominent. La présence de Jodie Foster, célèbre bilingue, en chef des armées, aide Blomkamp à désigner culturellement les origines de la fracture économico-sociale.

Mais il a le génie de créer un personnage qui fait le lien entre les deux mondes : un Afrikaner barré, repris de justice devenu mercenaire à la solde des puissants d’Elysium, officiant sur terre pour endiguer les révoltes. Non seulement le personnage est génialement dessiné — l’acteur de District 9, Sharito Copley, prend plaisir à incarner cette raclure absolue — mais le Sud-Africain Blomkamp n’oublie pas, à travers lui, de régler à nouveau ses comptes avec son pays. Ce cinglé a beau se donner les atours des miséreux, c’est pour mieux les trahir et les livrer à leurs oppresseurs.

Ce constat, qui pouvait passer à l’époque de District 9 comme une éruption locale, prend un tout autre sens dans le cadre d’un divertissement estival américain : à l’image de Max entrant par la force dans le sacro-saint Elysium, Blomkamp force les portes des studios pour y poser une bombe à retardement, dont on se demande bien quels seront les effets à long terme.

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