Pour ses adieux au cinéma, Steven Soderbergh relate la vie du pianiste excentrique Liberace et de son dernier amant, vampirisé par la star. Magistralement raconté, intelligemment mis en scène et incarné par deux acteurs exceptionnels. Christophe Chabert
Tout ce qui brille n'est pas or. Pour Liberace, pianiste virtuose et showman invétéré, c'est surtout le strass qui doit briller, en mettre plein la vue au point d'entraîner une étrange cécité chez ses fans. Lorsque Scott Thorson découvre son spectacle et l'enthousiasme du public straight et âgé qui le regarde, il se demande : «Comment peuvent-ils aimer un truc aussi gay ?». Son compagnon lui répond qu'ils ne veulent pas voir ce qui pourtant saute aux yeux. En cela, Liberace est autant un formidable personnage qu'un pur produit de son époque : du queer criard qui se terminera dans un grand crash larmoyant.
La beauté du dernier film de Steven Soderbergh, c'est qu'il fonctionne sur le même type de santé paradoxale : le scénario de Richard LaGravenese est un modèle de storytelling, plein de verve et de répliques cinglantes, mais il explore les facettes les plus sombres de Liberace. Quant à la mise en scène, elle capte le kitsch scintillant qui constitue l'univers domestique du pianiste, avant d'en révéler la dimension cauchemardesque, à l'image de cette moumoute qui, une fois retirée, fait apparaître un visage soudain monstrueux.
Triste et gay
Scott succombe donc au charme de Liberace et se plie à ses désirs, d'abord frivoles et sexuels, puis de plus en plus morbides. Se joue alors une version tordue du Portrait de Dorian Gray où Liberace tente de transformer son amant en un reflet rajeuni de sa propre image, le poussant à cramer au bord de la piscine et à faire de la gonflette, avant de subir une série d'interventions chirurgicales dont la plus troublante est celle qui dessinera une fossette sur son menton. Michael Douglas, purement génial dans le rôle de Liberace, semble alors devenir le troisième auteur du film : cette fossette, c'est celle que son écrasant Kirk de père lui a transmise. Scott — Matt Damon, excellent, comme toujours — est lui aussi réduit à n'être qu'une pure projection de l'ego démesuré de son Pygmalion, esclave amoureux endurant stoïquement les humiliations jusqu'à ce que la coupe déborde.
Un autre drame se joue en filigrane de la romance : l'hypocrisie autour de l'identité gay, dont homos comme hétéros s'accommodent jusqu'à ce que le SIDA vienne tout faire péter et mette chacun face à sa vérité. Le dernier quart d'heure, bouleversant, bascule dans une tragédie qui est autant celle d'un couple que celle d'une société toute entière, où plus rien ne brille sauf les larmes des amants.
Ma vie avec Liberace
De Steven Soderbergh (ÉU, 1h58) avec Michael Douglas, Matt Damon...