Oxmo Puccino, c'est le rap français taille patron. Lyriciste de grand talent, le "Black Jacques Brel" comme on le surnomme, a su transcender sa musique jusqu'à la porter aux frontières du jazz tout en conservant une aura dans le monde du hip hop, pas toujours facile à satisfaire. Rencontre avec un grand monsieur avant son passage au Chambon-Feugerolles samedi 9 novembre. Propos Recueillis par Nicolas Bros
Petit Bulletin : Pourriez-vous décrire en quelques mots ce que vous souhaitez transmettre à travers votre musique ?
Oxmo Puccino : C'est une excellente question, très compliquée de répondre à cela. Transmettre des émotions, partager, échanger, réfléchir sur les mots, jouer avec pour rendre les choses plus belles.
Vous avez évolué au cours de votre carrière du rap "classique" vers d'autres sphères musicales, pourquoi ce choix de repousser les frontières ?
Il ne s'agit pas de quelque chose de réfléchi. C'est un sillon que je creuse, parfois je me trompe, parfois je désarçonne le public. Je travaille chaque jour l'écriture afin de me renouveler, trouver de nouveaux sujets et d'autres façons de dire et de décrire les choses. Ensuite je suis à la recherche de l'écrin qu'il faut pour porter les mots aux oreilles et au coeur des gens. Je lis beaucoup, m'imprègne de mille et une histoire de courants musicaux différents, pour essayer de proposer un univers qui m'est propre.
Quelle vision avez-vous de la scène rap actuelle ? Est-elle encore une terre de créations et d'innovations ?
Je suis fier que le rap vive encore ! Lorsque nous avons vécu l'arrivée de cette musique dans les années 80, jamais nous n'aurions pensé qu'elle marquerait ainsi l'histoire de la musique ! Le rap français est porté par de nombreuses grandes figures, il fait désormais parti de la culture populaire. Chacun essaye de construire son histoire, de développer son art. On voit de jeunes artistes aujourd'hui se réclamer d'artistes comme Akhenaton, NTM, moi-même. Ça fait chaud au coeur. Eux-mêmes travaillent pour renouveler le genre, exister, se faire entendre, émouvoir, amuser. Dans l'histoire de la musique, il y a la légende du "c'était mieux avant" ou "c'était mieux de notre temps". Il y a quelque chose d'hyper réac là-dedans. La musique vit, elle évolue avec son temps, son époque, son environnement, son histoire. Certains marquent leur temps plus que d'autres. A l'image de Medine récemment, les rappeurs remplissent désormais l'Olympia temple de la chanson française, vendent des disques et inspirent toutes les générations. Voir l'impact qu'ont des gens comme Orelsan ou Youssoupha sur le public est un grand plaisir, voir que Booba, 15 ans après, est toujours au top nécessite un travail important que les gens ignorent, voir 20Syl se balader d'Hocus Pocus à C2C avec la même réussite est quelque chose de très positif, voir l'énergie de la jeunesse de l'Entourage par exemple ou 3010 montre que cette musique a encore de belles heures à vivre.
Que représente l'album Roi Sans Carosse dans votre carrière ? Un retour vers une écriture "brute" après avoir sorti L'Arme de Paix ?
C'est un album important car pour la première fois j'ai composé avec ma guitare l'essentielle des chansons et qu'enfin il m'a permis de travailler avec Vincent Segal. Il a donc une place particulière dans mon coeur. Je suis arrivé avec mes maquettes faites à la maison. Je les ai présentées à Vincent Segal et Renaud Letang. Ils les ont écoutées avec beaucoup d'attention, ils ont compris ce dont j'avais envie, une production fine et précise mais avec peu d'éléments, préserver la musicalité, mettre en valeur les mots et leur donner la force recherchée.
Vous tournez depuis plus d'un an avec Roi Sans Carosse, est-ce que votre prestation live a évolué depuis le début de la tournée ?
Complètement. Au fur et à mesure, on a fait évolué le spectacle, la scénographie, l'ordre des chansons. On a enlevé certains titres, on en a rajouté. Et puis surtout il y a cette alchimie de groupe. Chaque soir, mes musiciens me surprennent, réinventent les titres. Et là encore, nous adaptons le spectacle aux salles également. Cet automne, nous jouons dans des salles assises, on travaille pour adapter le spectacle, le rendre agréable pour le public. On aborde pas un concert dans un festival comme Les Vieilles Charrues comme dans un théâtre. Je ne vois pas poindre l'ennui mais la peur du moment où la tournée va devoir s'arrêter.
Sous quelle forme musicale et scénique vous présenterez-vous aux Oreilles en Pointe au Chambon-Feugerolles samedi ?
Je suis accompagné d'un batteur (JB Cortot), d'un clavier/rhodes (PL Jamain), d'un guitariste (E. Ardan) et d'un bassiste qui est aussi mon directeur musical sur scène (C. Aguiar). Nous sommes une équipe de 10 sur la route. On a beaucoup travaillé les lumières. Au bout de 80 concerts, on continue de travailler chaque jour des petits détails, on essaye de trouver de nouvelles idées pour améliorer le spectacle. Nous jouons des titres du dernier album mais aussi des anciens albums.
Est-ce que la scène est devenue pour vous la "raison" du disque ?
Je ne raisonne pas ainsi. Je réfléchis effectivement lorsque j'écris mes chansons à ce qu'elles pourraient donner sur scène. La tournée est une experience extraordinaire car encore une fois j'ai la chance d'avoir une équipe magnifique, généreuse, humaine et talentueuse à mes côtés. On travaille dur, le rythme est intense mais le plaisir tellement grand de pouvoir jouer devant un public attentif, réactif qui nous donne tellement. C'est un moment de vérité, un instant d'échange magnifique, une parenthèse de bonheur à partager. Les chansons prennent une autre dimension, les anciennes vivent une seconde jeunesse.
En avez-vous marre que l'on vous surnomme le Black Jacques Brel ?
C'est plutôt un honneur que de me donner ce sobriquet. Ce qui m'amuse c'est que beaucoup me l'attribuent sans connaître mon travail, parfois même sans bien connaître celui de Jacques Brel. Il y a deux raisons qui ont donné lieu à cette comparaison. Tout d'abord j'avais repris il y a quelques années, Ces gens-là et puis mon second album s'appelait L'amour est mort, au même moment était sorti un titre inédit de Jacques Brel qui portait également ce nom. Autant d'éléments qui ont contribué à l'attribution de ce surnom.
Enfin, d'où vient votre nom d'Oxmo Puccino ?
C'est un mélange des genres. C'est à la fois un clin d'oeil au cinéma de Scorcese et comme je suis passionné de dessin, je voulais un nom graphique fait de X et de O. Ainsi est né Oxmo Puccino.