Nymphomaniac, volume 1

Nymphomaniac - Volume 1
De Lars von Trier (Dan-All-Fr-Bel, 1h50) avec Charlotte Gainsbourg, Stellan Skarsgård...

Censuré ? Remonté ? Qu’importe les nombreuses anecdotes et vicissitudes qui entourent le dernier film de Lars von Trier. Avec cette confession en huit chapitres d’une nymphomane — dont voici les cinq premiers, le cinéaste est toujours aussi provocateur, mais dans une tonalité légère, drôle et ludique qui lui va plutôt bien. Christophe Chabert

On avait laissé Lars von Trier sur la fulgurante dernière image de Melancholia, parvenu au bout de sa dépression et affirmant que le meilleur moyen d’apaiser ses tourments, c’était encore de voir le monde voler en éclats. Au début de Nymphomaniac, après avoir plongé longuement le spectateur dans le noir et une suite de bruits anxiogènes, il révèle le corps de Joe — Charlotte Gainsbourg, réduite dans ce premier volet au statut de narratrice des exploits de son alter ego adolescente, la troublante Stacy Martin — dans une ruelle sombre, ensanglantée et amochée. Passe par là un brave bougre nommé Selligman — Stellan Skarsgard — qui la recueille chez lui et lui demande ce qui s’est passé. «Ça va être une longue histoire» dit-elle, après avoir affirmé qu’elle était une «nymphomane»…

En fait, l’histoire tient en deux films décomposés en huit chapitres comme autant de récits obéissant à des règles esthétiques propres, utilisant une panoplie d’artifices — ralentis, split screen, retours en arrière — et changeant sans cesse de formats — pellicule et numérique, scope et 1, 85, couleur et noir et blanc — de style — caméra à l’épaule ou compositions méticuleuses — mais surtout d’humeurs.

Let’s talk about sex

L’humeur, c’est ce qui étonne à la vision de Nymphomaniac : contrairement à ce que son introduction pouvait laisser croire, von Trier sort ici de la noirceur qui marquait ses deux derniers films et retrouve une santé insolente, maniant la légèreté et l’humour tout en restant, on ne se refait pas, très provocateur. Ce n’est un mystère pour personne : Nymphomaniac devait assouvir son fantasme de tourner un porno sophistiqué débordant de sexe explicite. Celui-ci est-il passé à la trappe de la version «censurée» et du montage «non supervisé mais approuvé» par von Trier ? Toujours est-il qu’à part quelques plans effectivement hard et une collection de bites plus pédagogique que vraiment choquante, ce premier volume parle de sexe plus qu’il ne le filme.

C’est bien la parole qui est ici le moteur de l’action, sinon de la fiction, et plus exactement la longue conversation entre Joe et Selligman, qui assure le lien entre les différents chapitres. C’est là que se joue la part la plus drôle et retorse du film : d’un côté, Joe qui se blâme de son comportement ; de l’autre Selligman, plus rationnel que libidineux, qui cherche au contraire à lui montrer que tout cela est très naturel, qu’une femme a naturellement besoin d’assouvir ses pulsions sexuelles… En inversant les rôles, en faisant de la collectionneuse d’amants la gardienne d’un ordre moral et du vieux beau compassé un défenseur tranquille d’une liberté des mœurs, von Trier se livre à un commentaire politique comme il les affectionne, dénonçant l’hypocrisie vis-à-vis de la sexualité en la poussant jusqu’à l’absurde. Une hypothèse qui, toutefois, devra être confirmée avec le second volume, tant l’ami Lars semble élaborer une dialectique taquine et farceuse…

 

Mythomaniac ?

Ce qui, en revanche, ne fait pas de doute dans cette première partie, c’est la façon dont le cinéaste instaure un rapport très ludique à l’idée de «récit». Le chapitre 1 est ainsi lancé par l’anecdote de Selligman sur la pèche à la ligne, ce qui permet à Joe de raconter comment, avec sa meilleure copine, elle est allée harponner — «hook», à la fois «hameçon» et «putain» en anglais — dans un train des hommes pris au hasard, avec à la clé pour celle qui en ramènerait le plus un sachet de bonbons. Le tout est illustré de mille trouvailles, comme la règle des questions en «Wh…», qui viennent s’incruster à l’écran.

Les associations d’idées entre les commentaires de Selligman et les histoires de Joe deviennent des associations d’images entre le texte et les plans de von Trier, qui pioche dans des archives pour aller au bout de son délire figuratif. Parfois, cette profusion marque le pas comme dans le chapitre le plus grave et le plus sobre, celui de l’agonie du père ; parfois, elle se met intelligemment en sourdine pour laisser toute la place à un impressionnant numéro d’Uma Thurman en femme trompée qui renverse la situation pour en faire une leçon de vie pour ses trois enfants. Souvent, elle dessine un arrière monde passionnant qui tient presque entièrement dans les diverses apparitions de Jérôme — Shia La Beouf, pour la première fois excellent à l’écran, révélant lui aussi une nature comique insoupçonnée !

Premier amant, mais aussi objet d’amour inatteignable, il surgit dans les chapitres comme un deus ex-machina mal géré par la narration. Ce qui jette un voile de soupçon sur l’authenticité de ce qui nous est raconté, qu’on serait tenté de rebaptiser — et Selligman n’est pas loin de le faire — Mythomaniac. Les points de suspension du cliffhanger nous laissent avec cette stimulante perplexité, mais aussi avec une certitude : Nymphomaniac est un film en pleine forme d’un cinéaste longtemps malade, et peut-être enfin guéri !

Nymphomaniac volume 1
De Lars von Trier (Dan-All-Fr-Ang, 1h57) avec Charlotte Gainsbourg, Stellan Skarsgard, Stacy Martin, Uma Thurman, Christian Slater…

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