Only lovers left alive

Retour en grande forme de Jim Jarmusch avec ce film à la force tranquille qui imagine des vampires dandy, rock’n’roll, amoureux et dépressifs, gardiens d’une culture mise en péril par la révolution numérique. Christophe Chabert

Adam et Eve ne sont ni le premier homme, ni la première femme de la création, mais les derniers amants-vampires sur terre ; c’est le premier scoop du nouveau film de Jim Jarmusch, joliment ironique. Eve s’est retiré à Tanger, où elle fréquente rien moins que Christopher Marlowe — qui, en plus d’avoir écrit les pièces de Shakespeare, est lui aussi une créature de la nuit, éternelle quoique mal en point ; Adam vit à Détroit au milieu de sa collection de guitares et de son studio analogique, reclus et phobique face aux «zombies» qui l’entourent — on ne saura pas si le terme qualifie péjorativement le commun des mortels ou si effectivement l’humanité est désormais divisée en deux catégories de morts-vivants.

Les liens qui les unissent relèvent autant d’un héritage romantique que d’une réalité qui passe par les moyens de communication contemporains : Eve et son IPhone en Facetime, Adam avec un bricolage mêlant câbles, télé et caméra. C’est en fait surtout la mise en scène de Jarmusch qui les réunit, comme lors de ses travellings en spirale enchaînés et fondus avec le mouvement d’un antique 33 tours. Son scénario aussi va les obliger à se retrouver : alors qu’Adam, trouvant l’éternité longue et morose, envisage de suicider, Eve vole à son secours pour l’empêcher de se renvoyer ad patres.

L’éternité des ruines

Mis à toutes les sauces ces dernières années, les vampires deviennent chez Jarmusch des remparts culturels ; ils ont croisé tous les génies des siècles passés — même si le film semble dire que le plus grand génie est celui qui choisit de ne jamais accéder à la célébrité — lu tous les livres, écouté tous les disques et, face à l’emprise galopante de la civilisation numérique, du culte de l’ego et du plaisir immédiat — incarnée par la sœur de Eve, Eva, teen vampire adepte du binge drinking là où ses aïeux consomment le sang comme des doses d’héroïne —, s’enfoncent dans la mélancolie. Le cool jarmuschien se transforme en une neurasthénie bourrée d’ironie, comme si le cinéaste assumait son côté vieux con tout en s’en moquant joyeusement.

Si son couple possède le charme hipster des pubs The Kooples, le cinéaste le regarde comme des vestiges en ruine d’un temps révolu, aussi sublime que ce théâtre à l’Italienne effondré et transformé en parking au cœur de Detroit. «Seuls les amants restent en vie» dit le titre, énigmatique jusqu’à la dernière séquence, suggérant que même si le monde disparaît, l’amour aura peut-être droit à son éternité.

Only lovers left alive
De Jim Jarmusch (All-Ang-Fr, 2h03) avec Tom Hiddleston, Tilda Swinton, Mia Wasikowska…
Sortie le 19 février
"La Petit Séance" - mercredi 19 février à 21h au Méliès

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