Aimer, boire et filmer

Une sélection 100% française pour ce mois de mars au cinéma, même si, entre Alain Resnais, Quentin Dupieux et le docu engagé de Julie Bertuccelli, il y a quelques abîmes… Christophe Chabert

Peut-on être encore jeune à 91 ans ? Il serait facile de choisir la démagogie et de répondre oui… Or, la démagogie et le regretté Alain Resnais, ça faisait deux ! Donc, pour son ultime Aimer, boire et chanter (26 mars), il assumait clairement son âge et signe un film de vieux. Mais attention, rien de péjoratif là-dedans… En adaptant pour la troisième fois une pièce de l’Anglais Alan Ayckbourn, il montre comment des couples plutôt rouillés ou mal assortis sont bousculés par l’annonce de la mort prochaine de George Riley, leur «ami». Le dispositif, qui ne cache rien de la théâtralité d’un texte où, justement, les personnages passent une partie de l’action à répéter une pièce de théâtre, paraît d’abord assez lourd, sinon assez laid. Mais le film finit par passionner en créant un magnifique dialogue entre le champ — des personnages englués dans leurs mensonges et paralysés par le temps qui passe — et le hors champ — un George invisible, la pièce qu’on ne verra jamais et surtout une jeunesse qu’ils se contentent de regarder de loin. Dans son dernier acte, Resnais entre chez eux pour s’offrir de splendides envolées de mise en scène. Curieusement, là où ses films récents laissaient percer une tentation testamentaire et une morbidité crépusculaire, cette œuvre posthume est résolument joyeuse et vivante, à l’image de son titre.

Police pas académique

Libre, Quentin Dupieux l’est depuis longtemps. Au point de tourner, entre deux projets conséquents (Wrong et le futur Réalité) un faux film mineur, Wrong cops (19 mars), où des flics effectivement ripoux se croisent dans une intrigue aussi absurde que rigoureusement filmée. Un trafic de drogue dans des rats morts, un policier mélomane avec un œil crevé qui cherche le morceau électro parfait, un trésor trouvé dans un jardin qui servira à dissimuler un passé de modèle nu dans des revues porno… Dupieux ose tout, et derrière le bricolage potache et récréatif, impose une fois de plus un univers archi-personnel, complètement dingue mais très sain en ces temps de normativité cinématographique.

Terminons avec un très beau documentaire : La Cour de Babel de Julie Bertuccelli (12 mars). La réalisatrice de Depuis qu’Otar est parti est allée filmer des enfants issus de l’immigration dans une classe d’accueil parisienne. Il y a le portrait de ces jeunes, attachants, volontaires, drôles et intelligents ; et il y a ce que leurs trajectoires révèlent du monde d’aujourd’hui : les guerres qui continuent et l’enfer économique, la place des femmes dans certains pays et celles des minorités dans d’autres. C’est le tour de force du film : trouver le point de convergence entre un regard local et une vision globale, entre émotion et politique.

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