Ridley Scott réussit là où Darren Aronofsky avait échoué avec Noé : livrer un blockbuster biblique où la bondieuserie est remplacée par un regard agnostique et où le spectacle tient avant tout dans une forme de sidération visuelle. Christophe Chabert
2014 restera l'année où les artistes agnostiques et athées se sont penchés sur les textes religieux pour en offrir une lecture rationnelle, intime ou réaliste. Emmanuel Carrère dans Le Royaume, Alain Cavalier dans Le Paradis et aujourd'hui Ridley Scott avec Exodus empoignent chacun à leur façon cette matière comme une source féconde de romanesque et de spectacle, tout en maintenant la distance avec leur caractère sacré. Dans le cas de Scott, c'est rien moins que les épisodes-clés de la Bible où Moïse choisit de libérer le peuple juif et de le conduire jusqu'à la terre promise qui forment le cœur de son blockbuster.
Dans un premier temps, le récit dessine un trajet au personnage qui rappelle celui du général Maximus dans Gladiator : frère d'arme du futur pharaon Ramses (Joel Edgerton, looké façon Brando période Kurtz), Moïse (Christian Bale, entre beau gosse à l'œil pétillant et sage au regard illuminé) découvre ses origines juives, est déchu de ses fonctions militaires et laissé pour mort par son ancien camarade. Cette première heure, une fois franchie l'impressionnante bataille d'ouverture, est avant tout un parcours intimiste où Moïse passe de l'opulence politique au dénuement, de la famille d'adoption à la famille tout court — femme et enfants — avant qu'il ne se fasse patriarche d'une famille plus grande encore : le peuple juif.
Moïse, héros campbellien
Scott fait de Moïse le premier des héros campbelliens plutôt qu'un prophète nanti d'une mission divine, le ramenant sur la terre des mythes plutôt que dans l'éther du sacré. Autour de lui, tout concoure à laisser la porte ouverte pour une interprétation rationnelle des "miracles" qui vont se produire. À commencer par l'apparition d'un Dieu vengeur, judicieusement représenté à l'écran par un enfant inflexible et colérique, qui pourrait n'être qu'une hallucination du héros suite à un mauvais choc.
Même quand les fameuses plaies s'abattent sur l'Égypte, Scott ménage toujours une explication scientifique aux invasions de sauterelles, de mouches et de grenouilles. Ces séquences offrent par ailleurs des visions cinématographiques sidérantes, comme on n'en avait pas vues sur un écran depuis les exploits de Cuarón avec Gravity. L'enjeu d'Exodus est bien de remplacer l'iconographie judéo-chrétienne d'un Cecil B. De Mille par une approche réaliste et crédible. La mer rouge qui s'écarte ou la rédaction des tables de la loi en sont de parfaits exemples, fidèles au projet global du film : créer du spectacle sans sombrer dans le pompiérisme et sans donner des gages aux bigots de tout poil.
Exodus : gods and kings
De Ridley Scott (ÉU, 2h35) avec Christian Bale, Joel Edgerton, John Turturro...