CHARLIE et ses drôles de drames, nouveau western

Même s’il est certain que bien d’autres causes mériteraient que la nation descende dans la rue, j’ai ressenti une émotion toute particulière le 11 janvier en reliant la gare de Châteaucreux à la place de l’Hôtel de Ville, au milieu des soixante milles marcheurs au pas tranquille qui défilaient dans les rues de Saint-Etienne. Beaucoup n’avaient jamais acheté ni même ouvert un seul exemplaire de Charlie Hebdo de toute leur vie. Certains manifestaient pour la première fois, à soixante-dix ans ou plus. C’était semble-t-il pour tous une question de principe, un sursaut, entre horreur et indignation. Beaucoup de musulmans étaient là également pour afficher leur rejet de l’extrémisme, exprimer leur crainte de l’amalgame et dire que caricaturer un prophète ne mérite sans doute pas la peine de mort. Des élus de tous bords arboraient leur belle écharpe tricolore, ne ratant pas la belle occasion de se montrer unis ou de se montrer tout court. Plus ou moins régulièrement un fait d’actualité redonne l’illusion d’une France black-blanc-beur dans laquelle tout le monde peut utopiquement aimer tout le monde. Nos confrères de Charlie Hebdo avaient choisi, eux, le contre-pied de se moquer de tout le monde. De se moquer pour dénoncer ou tout simplement par plaisir du bon mot, par amour de la déconnade, comme de grands gamins qui ne pourront jamais s’empêcher de refaire le coup du poil à gratter ou du sel dans le sucrier. Ce qui me paraît le plus remarquable dans la ligne de conduite de la presse satirique ou anarchico-libertaire, c’est bien son inébranlable intégrité, défendant contre vents et marées une profonde et indéfectible liberté de ton. Tout comme Le Canard Enchaîné, les Guignols de l’Info et beaucoup d’humoristes politiquement incorrects, Charlie Hebdo a toujours assumé les procès qui lui ont été intentés et n’a jamais cédé aux menaces, même les plus sérieuses. De tout temps des penseurs, des écrivains ou des dessinateurs ont exprimé leur rejet du pouvoir établi, des bonnes consciences et des faux-semblants, des promesses non tenues et des mensonges officiels, des monarques en perruques, des gouvernements qui avancent masqués ou des tyrans à visage découvert, des sectes sournoises ou des religions instrumentalisées. On le sait bien, la liberté d’expression est toute relative, même dans le pays des libertés qu’est censée être le nôtre. Il était possible jusqu’ici de dire, d’écrire ou de dessiner à peu près tout et son contraire, même au risque de choquer, d’être juridiquement attaqué pour diffamation ou encore de subir quelques intimidations. Cette fois-ci des journalistes ont été fusillés sans procès, sur leur lieu de travail, pour avoir gribouillé des dessins qui ne sont pas du goût de tout le monde. S’il est certes présomptueux d’affirmer que «nous sommes tous Charlie» (ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le «nous sommes tous américains» qui fit débat à l’automne 2011), personne et sous aucun prétexte ne peut accepter la barbarie. Crayons et gommes ne seront jamais des armes de destruction massive et Charlie Hebdo paie le prix fort de ce grossier raccourci. Ceux qui en revanche ne savent s’exprimer qu’à balles réelles sont les acteurs d’un très mauvais western. Car si les cathos semblent avoir pardonné à Charb, Cabu, Tignous et les autres leurs dessins corrosifs de papes sous perfusion, de prêtres pédophiles et de religieuses lubriques, des drapeaux français sont encore brûlés par des foules hystériques et des menaces de mort sont proférées devant les caméras du monde entier en différents points du globe. C’est moche et il serait peut-être temps de passer à autre chose de plus constructif…

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