Birdman

Changement de registre pour Alejandro Gonzalez Iñarritu : le cinéaste mexicain laisse son désespoir misérabiliste de côté pour tourner une fable sur les aléas de la célébrité et le métier d’acteur, porté par un casting exceptionnel et une mise en scène folle. Christophe Chabert

Partons du titre complet de Birdman : la surprenante vertu de l’ignorance. De la part d’un cinéaste aussi peu modeste qu’Alejandro Gonzalez Iñarritu, ce sous-titre a de quoi faire peur, tant il nous a habitués dans ses films précédents à donner des leçons sur la misère du monde sous toutes ses formes. Or, Birdman séduit par sa volonté de ne pas généraliser sa fable, circonscrite entre les murs d’un théâtre à Broadway : ici va se jouer à la fois une pièce adaptée de Raymond Carver et la tragi-comédie d’un homme ridicule, Riggan Thompson. Des années avant, il était la star d’une série de blockbusters où il jouait un super héros ; aujourd’hui, il tente de relancer sa carrière et gagner l’estime de ses contemporains en jouant et mettant en scène du théâtre "sérieux".

Le naufrage de son existence ne se résume pas seulement à ses habits de has been : sa fille sort d’une cure de désintox, son mariage a sombré et il se fait écraser par une star mégalomane et égocentrique, Mike Shiner, plus roué et cynique que lui pour conquérir les faveurs de la critique et du public. Pour filmer les secousses qui vont bousculer Thompson dans les jours précédents la première, Iñarritu fait un choix radicals dans sa mise en scène : tout sera filmé en un seul long plan-séquence dans lequel pourront s’immiscer ellipses temporelles, trouées oniriques, effets spéciaux spectaculaires et même irruption d’éléments off comme ce batteur de jazz dont les rythmes scandent la bande-son frénétique de cette comédie noire.

L’homme derrière l’oiseau

Cette continuité visuelle est un tour de force, dont il faut créditer le chef opérateur Emmanuel Lubezki qui, après ses prouesses chez Malick et Cuarón, confirme son statut de grand expérimentateur de l’image, mais elle crée également du sens. Le théâtre n’est-il pas après tout, pour un acteur, un plan-séquence de deux heures où l’on n’a pas le droit à l’erreur ?

Birdman est donc avant tout un hommage aux comédiens, un Opening night sous acide, plus pertinent quand il se concentre sur ses personnages que lorsqu’il tente, maladroitement, de régler quelques comptes avec la critique ou les réseaux sociaux. Il faut dire que le casting est parfait : Michael Keaton, bien sûr, dont la transparence à son personnage — de Batman à Birdman, il n’y a qu’un volatile — crée un troublant effet de réel, mais aussi un Edward Norton déchaîné et remarquable, aussi insupportable d’égocentrisme qu’émouvant lorsqu’il courtise sur le toit une Emma Stone elle aussi rayonnante. Le désespoir d’Iñarritu cède devant l’humanité de sa galerie de portraits, et Birdman s’affirme sans problème comme son meilleur film.

Birdman
D’Alejandro Gonzalez Iñarritu (ÉU, 1h59) avec Michael Keaton, Emma Stone, Edward Norton…
Sortie le 25 février

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mercredi 7 juillet 2021 Espéré depuis un an — son titre est d’ailleurs une quasi anagramme d’“attente” —, le nouveau Carax tient davantage de la captation d’un projet scénique que de ses habituelles transes cinématographiques. Vraisemblablement nourrie de son histoire...
Mardi 4 septembre 2018 Phénoménal et visionnaire batteur mexicain avec déjà pas moins de cinq Grammy Awards en poche, Antonio Sánchez poursuit l’aventure du groupe Migration qu’il (...)
Mercredi 4 avril 2018 Wes Anderson renoue avec le stop motion pour une fable extrême-orientale contemporaine de son cru, où il se diversifie en intégrant de nouveaux référentiels, sans renoncer à son originalité stylistique ni à sa singularité visuelle. Ces Chiens...
Mardi 23 février 2016 Délaissant comme Tarantino les déserts arides au profit des immensités glacées, Alejandro González Iñárritu poursuit sa résurrection cinématographique avec un ample western épique dans la digne lignée d’Arthur Penn et de Sydney Pollack. Un...
Mardi 2 février 2016 Délaissant comme Tarantino les déserts arides au profit des immensités glacées, Alejandro González Iñárritu poursuit sa résurrection cinématographique avec un ample western épique dans la digne lignée d’Arthur Penn et de Sydney Pollack. Un survival...
Mardi 2 février 2016 Après s’être égaré en racontant les tribulations gore d’un randonneur se sciant le bras pour survivre (“127 heures”), Danny Boyle avait besoin de se rattraper. Il fait le job avec une évocation stylisée du patron d’Apple, première super-pop-star...
Mardi 26 janvier 2016 De Tom McCarthy (É.-U., 2h08) avec Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams…
Lundi 2 février 2015 Chaque mois, Le Petit Bulletin vous recommande ses coups de cœur cinéma ! Au sommaire de ce troisième numéro (...)
Mardi 6 janvier 2015 Les saisons se suivent et ne se ressemblent pas : de janvier à juin, c’est le retour des super auteurs du cinéma américain avec des films qu’on dira, par euphémisme, excitants. À l’ombre de ces mastodontes vrombissants, une poignée de cinéastes...
Mardi 25 février 2014 Wes Anderson transporte son cinéma dans l’Europe des années 30 pour un hommage à Stefan Zweig déguisé en comédie euphorique. Un chef-d’œuvre génialement orchestré, aussi allègre qu’empreint d’une sourde inquiétude. Christophe Chabert
Mardi 5 février 2013 De Ruben Fleischer (ÉU, 1h52) avec Josh Brolin, Ryan Gossling, Sean Penn…

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X