American Sniper

American sniper
De Clint Eastwood (ÉU, 2h12) avec Bradley Cooper, Sienna Miller, Luke Grimes...

En retraçant l’histoire de Chris Kyle, le sniper le plus redoutable de toute l’histoire américaine, Clint Eastwood signe un film de guerre implacable où la mise en scène, aussi spectaculaire qu’aride, crée la dialectique si chère au cinéaste pour rendre la complexité de ce héros ambigu. Christophe Chabert

«Tu es un redneck» dit sa future femme à Chris Kyle — massif et impressionnant Bradley Cooper — lors de leur première rencontre. «Non, je suis Texan» lui répond-il. Et il précise : «Les Texans montent sur des chevaux, les rednecks se montent entre eux». Avec cette (rare) respiration au milieu de la tension qui règne dans American Sniper, Clint Eastwood met déjà les choses au clair sur son personnage : Chris Kyle est un pur produit de l’americana sudiste, élevé dans le culte de la Bible (qu’il transporte avec lui mais qu’il n’ouvre et ne lit jamais), des armes (son père lui apprend, tout jeune, à chasser) et de la Patrie. Il semble n’avoir aucune vie intérieure, suivant un autre précepte édité par son paternel : il ne sera ni une brebis, ni un loup, mais un chien de berger, veillant presque par instinct sur les siens (sa famille d’abord, ses compagnons d’arme ensuite). Or, une fois engagé sur le terrain irakien en tant que sniper d’élite au sein des Navy SEALs, Kyle va faire l’expérience de ce trouble, même si sa carapace de machine de guerre texane ne se fissure pas si facilement.

Sniper pas sans reproche

En définitive, c’est bien le regard de Eastwood qui, progressivement, fait apparaître cette fêlure. Le premier sang versé par Kyle est celui d’une femme et d’un enfant : choix difficile sur le moment, décisif pour la suite, et séquence magistrale où se joue le double mouvement d’American Sniper. D’un côté, le suspense — Tirera ? Tirera pas ? — de l’autre, le moment où la caméra s’attarde longuement sur le visage de Kyle, comme si elle traquait le tremblement intime qui va ébranler ce héros ambivalent. Admirable, la mise en scène permet au film d’être à la fois un incroyable film de guerre, implacable, d’une densité d’autant plus spectaculaire qu’Eastwood travaille avec une grammaire classique, des plans précis et un découpage sobre, et une méditation sur la vie d’un soldat dont la «mission», au départ claire, devient de plus en plus brouillée.

La plus belle idée reste ce double syrien de Kyle, sniper lui aussi, ancien champion olympique de tir, «héros» à sa manière devenu, du point de vue américain, un ennemi diabolique. Eastwood réfléchit depuis longtemps à cette dialectique de l’héroïsme, toujours réversible, différente selon qu’on l’aborde d’un point de vue patriotique ou individuel. American Sniper vient nourrir magnifiquement cette réflexion, Kyle refusant cette étiquette que tous, soldats comme citoyens, lui accoleront jusqu’au bout. Eastwood fait de même : passées les trompettes finales, le générique défile dans un silence oppressant, et c’est cet hommage-là, pas l’officiel, qui dit le mieux la position du cinéaste.

American Sniper
De Clint Eastwood (ÉU, 2h12) avec Bradley Cooper, Sienna Miller…

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