Ojo Loco, les yeux ouverts sur l'Espagne

Après trois ans d’existence, le festival Ojo Loco s’impose comme un des rendez-vous cinématographiques importants de la saison. Avec, au milieu d’une pléthore de films passionnants venus de Cuba, d’Argentine, du Brésil ou du Pérou, un cinéma espagnol en pleine forme créative malgré la crise. Christophe Chabert

Aux derniers Goya, l’équivalent espagnol de nos César, deux films se tiraient la bourre dans la course aux récompenses finales : La Isla Minima (qui sortira en France sous le titre Marshland) et La Niña de fuego. Deux films de genre, l’un tirant vers le cinéma criminel, l’autre vers le thriller. Cela fait longtemps qu’on loue dans nos colonnes la force des cinéastes espagnols lorsqu’ils s’attaquent à des territoires squattés par les productions anglo-saxonnes, mais cette reconnaissance par les professionnels – ainsi que par le public, les deux films ayant été de gros succès au box-office national – montre que, loin de s’être commué en académisme ou en opportunisme commercial, le cinéma de genre "made in Spain" est encore en pleine effervescence. Et ce malgré la crise qui a touché le pays et, par voie de conséquence, le financement de son industrie cinématographique ainsi que sa distribution – nombre de salles ont fermé leurs portes ces dernières années.

"Marshland" : un thriller post-franquiste

Tandis que La Niña de fuego sera présenté en avant-première au festival Ojo Loco, Marshland fera l’événement au cours de sa soirée de clôture. Si l’on n’a pas encore vu le premier, il faut tout de suite souligner l’excellence du second qui, d’ailleurs, l’a finalement emporté largement aux Goya sur son adversaire avec rien moins que dix statuettes, dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur pour Alberto Rodríguez – La Niña de fuego a reçu quant à lui le Goya de la meilleure actrice pour Bárbara Lennie.

Rodríguez n’est pas un nouveau venu dans le cinéma espagnol ; il a déjà à son actif quelques films remarqués mais imparfaits, en particulier Les 7 vierges et le film d’action Grupo 7. Il effectue un pas de géant avec Marshland, polar haletant, écrit au scalpel et filmé avec une véritable maestria stylistique. L’histoire rappelle Memories of murder de Bong Joon-ho et la série True detective : sur une île au sud de l’Espagne, un serial killer rode, assassinant des jeunes filles qui voulaient toutes quitter ce territoire désespérément promis à ne jamais sortir de ses archaïsmes et de son autarcie. Deux flics enquêtent sur les meurtres et se heurtent à des obstacles qui ne sont pas seulement liés à la psychologie retorse du tueur : nous sommes en 1980, et l’Espagne entame sa transition démocratique, passant du Franquisme à la Monarchie républicaine, avec tout ce que cela implique de mutations administratives et de changements de mentalité.

La façon dont Rodríguez parvient à intriquer l’efficacité de son thriller (avec des séquences à vous faire dresser les cheveux sur la tête) et son contexte politique tient de la haute voltige. Il réussit ainsi, dans le cadre balisé du cinéma de genre, à offrir une réflexion historique pointue et complexe, sans perdre de vue l’intensité du récit, avec ses fausses pistes et ses coups de théâtre.

Panorama latino

En miroir de ce dynamisme contemporain, Ojo Loco proposera quelques classiques du cinéma espagnol en version restaurée comme La Fleur de mon secret et Femmes au bord de la crise de nerfs d’Almodóvar, ou plus ancien et plus rare, la reprise de Peppermint frappé, une des œuvres majeures de Carlos Saura, tournée en pleine période franquiste (1963).

Quant au reste de la programmation, il consiste en un passionnant tour du cinéma latino, tous pays confondus. On passera vite sur le retour raté de Diego Lerman avec Refugiado, archétype essoufflé d’un "world cinema" d’auteur pétri de scories, ainsi que sur le dernier Lisandro Alonso, Jauja, qui se complaît dans un cinéma contemplatif ennuyeux à périr, tandis que Viggo Mortensen tente de résister vaillamment à la direction d’acteur bressonienne pour faire simplement son métier de comédien investi et intègre.

On s’attardera plutôt, niveau cinéma argentin, sur Ardor, audacieuse tentative de western tropical signé Pablo Fendrick (La Sangre brota) avec Gael García Bernal. Il faudra aussi guetter un film cubain précédé d’un buzz laudatif, Conducta d’Ernesto Daranas, ainsi que l’avant-première en présence de son réalisateur péruvien Eduardo Mendoza de L’Évangile de la chair. Sans oublier un film brésilien qui a fait sensation lors de la dernière berlinale, Qué horas ela volta ? et qui devrait laisser les spectateurs en larme à la fin de la projection…

Festival Ojo Loco
Jusqu’au 22 mars au Méliès et à la Cinémathèque

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