Une odeur de liberté sur les écrans


Au Brésil, en Colombie mais surtout sur un fleuve français descendu par le génial Bruno Podalydès, le cinéma ce mois-ci rêve d’évasion, champêtre, politique ou sociale. Christophe Chabert

Partir à l’aventure et quitter une vie devenue routine : voilà le projet qui germe dans la tête de Michel, l’anti-héros incarné par Bruno Podalydès dans son nouveau film Comme un avion (10 juin). Il rêvait de piloter des avions mais, à cinquante ans, ce rêve a les ailes brisées. Or, qu’est-ce qu’un avion sans ailes ? Un kayak ! Ce qui pourrait n’être qu’une lubie de plus va devenir une réalité : il laisse sa femme sur la rive — Sandrine Kiberlain, lumineuse — pour descendre un fleuve avec un «matos» de pointe, source de gags hilarants pour ce citadin qui se pique de découvrir la vie sauvage. Tout cela finira en partie de campagne avec canotiers perchés (le tandem Vuillermoz / Brouté), aubergiste tentatrice (Agnès Jaoui) et jeune fille en fleur (Vimala Pons). Le film est aussi libre et euphorique que le parcours de son personnage, fourmillant d’idées formidables, renversant sans arrêt ses stéréotypes pour offrir un grand bain de bonheur avec un doigt de mélancolie. Podalydès retrouve ici la santé qui irriguait son génial Dieu seul me voit, et signe sans conteste la comédie française de l’année.

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Franchir les barrières sociales

C’est sur un fleuve aussi que les deux frères de Manos Sucias (3 juin), premier film made in Colombie signé Josef Wladyka, espèrent acheter leur liberté. Car pour des noirs, dans un pays encore soumis à un apartheid qui ne dit pas son nom, la seule possibilité d’ascenseur social réside dans l’exécution de missions mafieuses, comme ici transporter une torpille avec un bateau de pêche. Truand blanc armé et violent, patrouilles de police, milices clandestines ou simple vendeur de noix de coco : autant d’obstacles qui vont compromettre la réussite du convoyage, formant ainsi une peinture de la Colombie profonde où la violence est omniprésente. Waldyka, cependant, ne cède pas à la tentation du film à thèse : Manos Sucias est d’abord un modèle d’efficacité, un thriller tendu à la mise en scène vive et intelligente capable de nouer le ventre lors d’accélérations fulgurantes de son suspense.

La liberté, c’est aussi celle du nouveau cinéma brésilien, dont Une seconde mère (24 juin) d’Ana Muylaert pourrait bien être le premier grand succès public en France. Ce cinéma fait corps avec l’évolution du pays en en faisant son thème exclusif : comment les vieilles fractures sociales craquent face au développement du Brésil. Muylaert en livre une vision douce amère à travers l’histoire de Val (Regina Casé, grande actrice de théâtre et de télévision, exceptionnelle de justesse et de vitalité) une domestique qui a sacrifié sa vie de famille pour s’occuper de celle d’un couple de grands bourgeois. Cette servitude volontaire vole en éclats quand sa propre fille débarque, bien décidée à ne pas reproduire le modèle maternel en réussissant ses études d’architecture. Mais c’est tout autant la mise en scène de Muylaert qui peu à peu efface les barrières, montrant l’obsolescence des règles séparant les riches et les pauvres, en les réunissant dans le même cadre tout en maintenant une distance drôle et ludique — Val commentant les faits et gestes de ses patrons depuis la cuisine, ou cette piscine qui devient un territoire réservé et tabou. Un très beau film, qui s’achève sur une puissante montée d’émotions.

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