Une transposition réussie du roman de Thomas Hardy par un Thomas Vinterberg converti au classicisme.
Après La Chasse, où son savoir-faire virait à la manipulation contestable, Thomas Vinterberg continue sa carrière sinueuse avec cette nouvelle adaptation du roman de Thomas Hardy. Au XIXe siècle dans le Dorset anglais, une femme, Batsheba Everdene, va déchaîner les passions des hommes, d'abord celles de Gabriel Oaks, un berger taciturne, puis de William Boldwood, un propriétaire terrien psychologiquement fragile, et enfin du sergent Troy, un soldat dont elle tombera follement amoureuse.
Vinterberg approche cette matière hautement romanesque avec une fidélité scrupuleuse, montrant comment d'une suite de hasards peut surgir une forme de fatalité : la perte d'un cheptel, un héritage imprévu, un mariage raté à cause d'une erreur sur le nom de l'église... Les personnages, malgré ces incessants revirements du destin, gardent tous leur rectitude et leurs principes : Batsheba cherche à préserver sa liberté et son indépendance, Oaks se pose en ange gardien dissimulant ses sentiments derrière sa droiture morale, Boldwood ronge son frein sans comprendre pourquoi elle se refuse à lui, alors qu'il possède le rang et l'argent nécessaire pour faire un bon mari...
Tout cela est traité sans aucun cynisme ni distance, dans un esprit de classicisme inattendu de la part de Vinterberg, conscient de la force indémodable de son récit. Du coup, il tire le meilleur de ses acteurs, en particulier Carey Mulligan, dans un rôle qui il y a quelques années aurait sans doute sied à Nicole Kidman, mais aussi Matthias Schoenaerts, aussi fort et juste ici qu'il était hors sujet dans le récent Les Jardins du roi.
Christophe Chabert