Octobre : Familles, je vous filme !

Pareille à la langue d’Ésope, la famille est la pire et la meilleure des choses : on a parfois besoin de s’en éloigner, voire de la fuir… pour comprendre à quel point il fait bon s’y réfugier. Elle se révèle aussi un terreau fécond pour les cinéastes : c’est souvent aux branches des arbres généalogiques qu’ils (re)cueillent leurs meilleures histoires… Vincent Raymond

Cela fait des années que Philippe Faucon témoigne de la vie dans les banlieues françaises telle qu’elle est vécue, notamment par des familles issues du Maghreb. Qu’il donne la parole des personnages qui ne sont pas de purs produits de son imagination, mais des incarnations cinématographiques de « vraies gens », inscrites dans une réalité plus que dans des fictions. Après Samia (2000) et Dans la vie (2007), Fatima (7 octobre) apparaît comme une évidence. Adapté des livres de Fatima Elayoubi et tourné à Lyon, ce film posé, resserré, raconte sans larmoiement le quotidien d’une femme de ménage vivant seule avec ses deux adolescentes, à qui elle dédie sa vie. Si l’une des filles réussit (et suscite la jalousie du quartier), l’autre entre en rébellion contre la société entière, sa mère incluse. Maîtrisant mal le français, usée dans son corps, Fatima n’a personne à qui confier ses réflexions, ses tourments ; elle se met alors à écrire. C’est un portrait sensible qui en resort, dont la force doit considérablement à la prestation de l’interprète du rôle-titre, la Givordine Soria Zeroual. Ses silences empreints de gravité, de dignité, sont nourris par l’observation de situations similaires et une connaissance du sujet qui surpassent toute composition.

Château Magot

Cinéaste rare, puis très rare et désormais de plus en plus rare, Jean-Paul Rappeneau a attendu douze ans pour promener à nouveau sa longue silhouette élégante sur un plateau. Depuis Bon voyages ! (2003), il n’était cependant pas resté inactif, travaillant à la restauration de ses premières œuvres (Les Mariés de l’an II, le Sauvage…), leur offrant une renaissance magnifiée sur grand écran. Toujours habité par l’envie de fabriquer un film ex nihilo, il s’est adjoint pour la seconde fois les services de son fils Julien (on reste dans le sujet) et, plus étonnant de Philippe Le Guay, pour signer le scénario de Belles Familles (14 octobre). Dans cette cavalcade, ce ballet virevoltant autour d’une maison à héritage et de doubles vies plus ou moins compartimentées, une galerie de personnages affronte — comme dans Tout feu tout flamme ou La Vie de château — des revers de fortune avec une nonchalance d’aristocrate pour certains, et une frénésie de souris épouvantée pour d’autres. La distribution est évidemment flamboyante, réunissant autour de Mathieu Amalric toutes les générations du cinéma français : Nicole Garcia, André Dussollier, Gilles Lellouche, Karin Viard et Marina Vacth. La Jeune et Jolie découverte de François Ozon reprend ici l’indispensable emploi d’effrontée au caractère trempé qui pimente les films de Rappeneau et aimante ses héros, mélancoliques ou velléitaires de nature. Succédant à Catherine Deneuve, Isabelle Adjani et Virginie Ledoyen, elle fait à présent totalement partie de « la grande famille » du cinéma français.

Un mauvais fils

Vous vous souvenez de Tanguy (2001), dernier film acceptable d’Étienne Chatiliez, montrant un couple victime de son trentenaire de fils refusant de quitter le nid familial ? Julie Delpy est allée un cran au-delà avec Lolo (28 octobre) une comédie dans laquelle son fils (Vincent Lacoste), élément perturbateur du couple que son personnage forme ici avec Dany Boon, est un psychopathe désireux de conserver intact le lien exclusif l’unissant à sa génitrice. La trajectoire prise par Julie Delpy est intéressante, car il devient totalement impossible de la réduire à un registre : comédie, drame, film intimiste ou populaire, approche auteuriste ou mainstream, la comédienne s’est essayée sans complexe à tout, avec une liberté réjouissante. Il y a dix ans, sa boulimie créative arty passait pour désordonnée ; aujourd’hui, la voici à la tête d’une filmographie électrique où, aussi étonnant que cela paraisse, la thématique de la famille envahissante, ou vécue comme un caillou dans l’escarpin, figure en bonne place. Dans 2 Days in Paris (2007) et 2 Days in New York (2012), son couple était perturbé par ses parents ou son père ; dans Le Skylab (2011), c’est l’ensemble de la parentèle qui était ressentie comme un poids par des adolescents en vacances. Il n’y a donc rien d’illogique à la voir signer Lolo, qui mérite le détour à plus d’un titre. Pour les trésors de perversité mis en œuvre par le fourbe fiston, ou pour la jouissance canaille (et triviale) d’entendre Karin Viard (encore elle) parler cru de ses affaires sentimentales, et la voir se comporter comme une adolescente avec sa copine Julie.

Nous n’ajouterons pas à cette évocation le pourtant très intéressant Crimson Peak de Guillermo del Toro, qui met en scène un frère et une sœur vénéneux dans un décor gothique — le distributeur imposant un étonnant embargo critique… jusqu’au matin-même de la sortie (14 octobre) ! Chacun conviendra que cet impératif peut s’avérer à double tranchant : il contient les appréciations négatives, et bloque également tout commentaire favorable. La rétention d’information, loin d’entretenir un suspense artificiel, serait plutôt de nature à fabriquer de la défiance vis-à-vis d’un film qui gagnerait à dépasser le cercle des convertis — geeks, adeptes du gore et cinéphiles hard core. Il est toujours bon d’agrandir les familles…

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