Novembre : On refait l'histoire !

007 Spectre
De Sam Mendes (ÉU, 2h30) avec Daniel Craig, Christoph Waltz...

On dit que le premier geste est souvent le bon. Pourtant, au cinéma, cette règle est souvent contredite : on ne compte plus les remakes, reboots, ni les relectures de l’Histoire ! Parfois pour le meilleur, souvent (hélas) pour le pire… Vincent Raymond

Ce n’est pas parce qu’une histoire a déjà été racontée qu’elle est épuisée : combien vides seraient les salles si l’on s’en tenait, pour chaque film, à une version définitive ! Combien pauvres seraient les producteurs si les concepts de suite, de remake, de préquelle ou de reboot (le plus génial du lot, puisqu’il consiste à recommencer une série à zéro, comme si de rien n’était) n’existaient pas ! Mais il y a bien des manières de remettre l’ouvrage sur le métier. Certaines plus adroites et créatives ; d’autres parfaitement inutiles. À tout "saigneur", tout honneur, commençons par James Bond. Le 24e opus officiel de la franchise, 007 Spectre (11/11) n’a rien d’une fantomatique copie. À la manœuvre comme dans Skyfall, Sam Mendes poursuit son entreprise subtile de ravalement du mythe, consistant à jouer la continuité, tout en reprenant le "mâle à la racine" — en l’occurrence, en explorant l’enfance tragique de l’espion préféré de Sa Gracieuse Majesté. Résultat ? Plutôt convaincant. Non seulement Mendes signe un film musclé contemporain sur un scénario crédible sans fioriture, mais l’environnement bondien s’y trouve judicieusement exploité : Moneypenny (Naomie Harris) n’est pas condamnée à garder l’antichambre de M (Ralph Fiennes), lequel prend part à l’action malgré ses bretelles de bureaucrate, tout comme le geek Q (Ben Wishaw). Même Daniel Craig, taciturne à souhait, s’en tire convenablement, en affichant continûment une indifférence digne d’un hooligan face au Bolchoï. Cerise sur le pudding, le méchant, d’une pure suavité perverse, est campé par un expert en la matière : Christoph Waltz. Il aurait sans doute mérité d’avoir davantage de place… et d’obscurité dans le film : c’est là qu’il devient le plus effrayant.

Faire et défaire, c'est toujours refaire

On change d’époque avec Sophie Barthes, qui n’est pas la première à s’attaquer à un monument littéraire : Madame Bovary (4/11) — donc indirectement à Flaubert lui-même, l’auteur revendiquant, selon son mot fameux, le personnage comme son double. Si l’on met de côté les transpositions les plus éloignées (le récent Gemma Bovery d’Anne Fontaine, adaptation d’une variation BD) ou celles plus décalées (de l’interminable Sauve et protège (1989) de Sokourov à l’énigmatique et fascinant Val Abraham (1993) de Manoel de Oliveira, la liste est pléthorique), le 7e art ne manque pas de versions "plus classiques" : Renoir, Minnelli, Chabrol… chaque époque donnant lieu à une œuvre d’une tonalité et d’une ambiance particulière. La logique voudrait qu’à une adaptation supplémentaire corresponde une proposition visuelle ou esthétique renouvelée. Hélas, Sophie Barthes semble avoir cloné le Chabrol. Certes, elle fait jouer des interprètes anglophones, troque Isabelle Huppert contre la décidément pâlichonne Mia Wasikowska, mais il y a bien une regrettable transparence dans sa mise en scène, qui sent l’application scolaire plus que l’inspiration.

Reprendre une histoire, ou plutôt l’Histoire, pour la remodeler à sa guise, voilà la marotte d’Alexandre Sokourov, justement. Mais attention ! Ce n’est pas pour en dénaturer la vérité ou le propos que le cinéaste russe use de sa caméra comme d’une machine à remonter le temps. En réalité, il reconstitue le passé, remet en scène des séquences afin de pouvoir s’y glisser en témoin privilégié, voire y apostropher les protagonistes. On se souvient de sa visite de l’Ermitage dans L’Arche russe (2002), traversée symbolique de la civilisation et de l’histoire russes ; dans Francofonia, le Louvre sous l’Occupation (11/11) il s’intéresse de nouveau à un musée — hexagonal cette fois-ci. Et raconte comment le directeur de l’époque, le très rigide Jacques Jaujard, trouva en Franz Wolff-Metternich, l’officier allemand chargé de "protéger" les œuvres d’art françaises, un authentique défenseur de l’intégrité des collections, empêchant qu’elles soient démantelées, dispersées, acheminées vers Berlin. Comme Sokourov ne peut se résoudre à un récit simple et linéaire, il ajoute un prologue contemporain sous forme d’un échange par Skype avec le capitaine d’une péniche chargée d’œuvres d’arts, pris dans une tempête. Évidemment, Sokourov prend à partie Jaujard et Wolff-Metternich au milieu de leurs conversations ; cela fait partie de sa signature, on y consent volontiers. Mais quand il nous offre une balade nocturne dans le Louvre, guidée par un Napoléon autocentré et une Marianne hystérique, on se demande si l’ami Alexandre n’est pas en train de sombrer dans l’auto-caricature…

Ici et ailleurs en même temps

Mais le moyen le plus inventif de réinventer passé et présent à la fois demeure l’uchronie : il s’agit d’imaginer une bifurcation temporelle, de faire prendre par conséquent un chemin alternatif à la planète entière. Dans Avril et le monde truqué (04/11) de Franck Ekinci et Christian Desmares, c’est une expérience scientifique ratée (en apparence) qui conduit à la mort de Napoléon III à la veille de la déclaration de la guerre contre la Prusse et scelle le sort de la révolution industrielle, bloquant l’humanité à l’âge du charbon. Jusqu’à ce jour de 1941 où une jeune femme, Avril, va découvrir les truqueurs du monde… Couronné par le Cristal, récompense suprême au festival d’Annecy, cet extraordinaire film inspiré par l’univers graphique de Tardi, est ce que l’on a vu de plus original et abouti depuis des années en animation traditionnelle. Un tel degré d’excellence dans l’écriture et la technique mérite un triomphe en salles. Allez-y donc sans faire d’histoire !

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