Le Grand Jeu

Le Grand Jeu
De Nicolas Pariser (Fr, 1h39) avec Melvil Poupaud, André Dussollier...

Trop rares, les incursions du cinéma français dans les sphères du pouvoir et les coulisses de l’appareil d’État donnent pourtant lieu à des films aussi palpitants que réussis. En voici un de plus — une première œuvre, de surcroît. Vincent Raymond

Grands commis de l’État retrouvés "suicidés", sombres rivalités gouvernementales, macro-stratégie politique et influences occultes… Les salons dorés et les couloirs feutrés des palais où siège l’exécutif fourmillent d’anecdotes propices à alimenter des thrillers rivalisant avec les meilleurs polars. Parce qu’elles touchent de près au cœur sacré de notre monarchie républicaine, ces histoires ont la saveur fascinante de l’interdit, et nous placent dans la situation d’enfants pénétrant à leur insu dans la chambre des parents.

Lorsque l’histoire se révèle documentée, c’est comme un flash de réalité augmentée qui nous submerge, prolongé par cette illusion folle d’avoir compris — voire partagé ! — le destin des puissants. Comme le chef-d'œuvre de Pierre Schoeller L’Exercice de l’État (2011), ou dans une moindre mesure Quai d’Orsay (2013) de Tavernier, Président (2005) de Delplanque et Une affaire d’État de Valette (2008), Le Grand Jeu révèle petites intrigues comme grandes manœuvres. Et dispose, pour servir son matériau remarquable, d’interprètes d’exception : Dussollier jouant le matois marionnettiste des coulisses, Poupaud dans le rôle du candide précipité dans la nasse.

Ciné cynisme

Leur relation trouble, quasi père-fils, initiateur-initié, débute par une entreprise de séduction appuyée (formidable échange d’ouverture), menée par cet homme de l’ombre lors d’une rencontre en apparence fortuite. En réalité, elle a été ourdie par ce dernier : on apprendra grâce à lui que gouverner, ce n’est pas prévoir, mais plutôt savoir abolir le hasard afin d’être maître de toutes les initiatives.

Et comment un fait d’actualité, authentique ou fabriqué (ici, inspiré de l’Affaire de Tarnac), peut selon la manière dont on l’instrumentalise, affermir ou déstabiliser les forces aux affaires. Pion halluciné découvrant l’échiquier cynique sur lequel on l’a posé, le personnage d’écrivaillon joué par Poupaud tente tardivement de s’en échapper, alors que la partie a été lancée. Sa naïveté désabusée a quelque chose de touchant, rappelant ces antihéros souvent campés par Amalric, revenus d’une idéologie trotsko-gauchiste pour vivre dans un cendrier. Malgré son caractère velléitaire, il a pour lui une sincérité dévorante le rendant incompatible avec le monde hypocrite des dominants. C’est (peut-être) ce qui pourra le sauver de la forfaiture…

Le Grand Jeu de Nicolas Pariser (Fr, 1h39) Avec Melvil Poupaud, André Dussollier, Clémence Poésy… (sortie le 16/12)

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