L'animation connaît en ce moment un regain bien loin de se limiter à l'Hexagone. En témoigne ce polar nippon à prendre en filature serrée, de même que son réalisateur — le chevronné Shunji Iwai... Vincent Raymond
Inconnues pour la plupart des spectateurs occidentaux, Hana et Alice ont pourtant vu le jour sur les écrans il y a une dizaine d'années au Japon en chair, en os et en uniforme. Créées par Shunji Iwai pour agrémenter des spots à la gloire d'une barre chocolatée portionnable bien connue, ces lycéennes s'en sont (presque) affranchies en devenant en 2004 les héroïnes d'un long métrage éponyme narrant leur complicité ainsi que leurs aventures sentimentales. Le temps a passé, mais Iwai n'en avait pas pour autant fini avec elles. Et c'est par la voie de l'animation qu'il a choisi d'offrir un prolongement en forme de préquelle à leur exploits. À partir de cette pierre dessinée avec grand talent, le cinéaste effectue un nombre impressionnant de ricochets : il se révèle à une plus large audience en France (où curieusement, ses films n'ont jamais beaucoup été relayés) et s'affirme comme un excellent réalisateur de film d'animation, investissant le segment “réaliste”— celui de l'imaginaire étant déjà largement quadrillé par les héritiers de Takahata et Miyazaki, tels que Hosoda ou la foule des auteurs de nekketsu.
Précis et sans hentaï
Shunji Iwai semble d'ailleurs plus qu'assumer le réalisme : il le revendique, en présentant des personnages aux traits véritablement anthropomorphes (c'est-à-dire ne se transformant pas en émoticônes grotesques lorsqu'ils sont embarrassés), aux physionomies presque toutes asiatiques, et aux mouvements d'une fluidité tellement harmonieuse qu'on se croirait devant une rotoscopie — rien à voir, donc, avec les immondes saccades de l'anime d'antan ! Les “prises de vues”, usant volontiers de plongées, de contre-plongées ou de “focales” insolites, dénotent une réflexion méticuleuse sur la manière de concevoir la réalisation, et contribuent au dynamisme global d'un film conservant cependant une part abstraite grâce à des décors somptueux, texturés comme des aquarelles. La même rigueur est accordée à Hana et Alice, adolescentes aux caractères fluctuants, jamais nunuches par complaisance ni stupide par facilité scénaristique. Déjouant les clichés attendus sur les lycéennes cuisses à l'air, Iwai n'aurait rien à redouter d'un test de Bechdel tant il prend soin d'ancrer ses personnages dans leur contexte social ou familial, et de les doter d'initiatives. Plus que la résolution de l'enquête-prétexte annoncée par le titre, c'est l'accession à une nouvelle maturité de l'anime nippon qui enthousiasme.
Hana et Alice mènent l'enquête de Shunji Iwai (Jap., 1h40) avec les voix de Yû Aoi, Anne Suzuki, Shôko Aida... (sortie le 11/05)