Cinquième épisode de Walk the Walk, la Web-série consacrée au voyage en Jamaïque de Brain Damage qui cette fois se frotte à Winston McAnuff.
Cet épisode conte l'enregistrement avec Winston McAnuff, que l'on connaît bien en France puisqu'il multiplie les collaborations par ici. C'est aussi l'occasion d'évoquer ces problèmes de droits récurrents autour des auteurs en Jamaïque, dont beaucoup d'artistes ont été spoliés. En as-tu parlé avec eux, avais-tu conscience de ça avant ce voyage ? Est-ce un sujet de méfiance préalable de la part d'artistes des années 70 qui ont été le plus victime de ça ?
Martin Nathan : C'est tout le problème, et les limites du sampling... J'ai toujours essayé de ne pas dépasser les bornes les rares fois ou j'ai pu avoir recours à cette technique. Bon nombre d'artistes ont fait leur succès en s'appropriant de longs passages de musiques dites "ethniques", ou évidemment des voix en provenance de Jamaïque, directement piochées dans leurs disques de chevet, sans le moindre crédit, la moindre autorisation, la moindre rémunération. J'ai eu maintes fois cette conversation avec les jamaïcains que j'ai croisé à Kingston : ils sont exaspérés. Ils en ont marre.
Depuis de nombreuses années, je privilégie les vraies collaborations et les séances studio qui me permettent de constituer mes propres banques de samples. Il me semble que c'est plus respectueux, plus intéressant, et le résultat final, à défaut parfois d'être plus immédiatement efficace, me semble plus personnel.
Avec le recul, comment expliques-tu l'explosion autour du dub en France qui s'est produite dans les années 90 et a vu l'émergence de plusieurs groupes emblématiques à Saint-Étienne, Angers, Bordeaux, Lyon ?
Je fais partie d'une génération qui a su faire évoluer un style musical, alors quasiment inconnu en France, principalement grâce à un cadre bien spécifique et des outils adéquats : intermittence, salles de spectacle suréquipées, techniciens, sociétés civiles, subventions, etc... Je pense que nous avons bénéficié des luttes de nos ainés, ce sont eux qui ont obtenu tout ça. Avec les avantages et les défauts que l'on connait, bien entendu.
C'est donc principalement grâce à cela que nous avons pu prendre la route avec des équipes aux effectifs parfois conséquents, constitués de musiciens, techniciens ou managers. C'était à peu de chose près, unique au monde dans le cadre du dub. Il en a découlé une spécificité française, une french dub touch, avec des albums travaillés, et des lives complets avec des gens qui jouent sur scène, mis en valeur par des équipes techniques, du son, de la lumière et parfois de la vidéo. Le public, à la recherche de quelque chose de nouveau, ne s'y est pas trompé.
Je pense plus que jamais que c'est cette spécificité qu'il faut chérir, ces outils qu'il faut conserver en les améliorant sans cesse, pour obtenir quelque chose d'unique et accompagner nos idées et nos énergies. Et je ne parle plus ici uniquement de ce qui concerne le dub, ni même de la culture en général, mais d'un modèle social inventé par nos ainés, qui doit pouvoir muter pour perdurer et s'opposer au libéralisme, et au nivellement par le bas qu'on nous impose.
LES AUTRES ÉPISODES
Walk the Walk #1 : Horace Andy
Walk the Walk #2 : Ras Michael
Walk the Walk #3 : Kiddus I
Walk the Walk #4 : Willi Williams