Firminy, une candidature bétonnée

Firminy, une candidature bétonnée

Passionnant parcours au cœur de l'architecture du XXe siècle, le site Le Corbusier de Firminy, le plus important d'Europe du maître franco-suisse, est depuis le 17 juillet inscrit au Patrimoine mondial de l'UNESCO avec seize autres réalisations. Description des enjeux de ce changement de statut. Nadja Pobel

Depuis le 17 juillet, à l'issue d'un vote à main levée, Firminy se trouve aux côtés de Rome, Grenade, New York ou Jérusalem dans la liste des villes abritant un site culturel classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO. En Rhône-Alpes, la cité a rejoint le site historique de Lyon, la Grotte Chauvet (et le Puy-en-Velay, compris dans le Chemin de Saint-Jacques-de Compostelle). Le sort a en été décidé à Istanbul, lors de la quarantième session du Comité de cette prestigieuse émanation de l'ONU.

Retoqué en 2011, le dossier avait cette fois-ci de très fortes chances d'être accepté. En effet, si comme la première fois, Firminy ne se présente pas seule devant les jurés, elle a su s'entourer cette année d'un allié de choc : la ville de Chandigarh, qui abrite la plus grande étendue réalisée au monde par Le Corbusier. Et, comme le relève Marc Petit, maire communiste de Firminy, « puisque l'UNESCO considère qu'aujourd'hui trop de biens culturels sont situés dans les pays occidentaux, la venue de l'Inde est un atout de taille ». Jusque-là, cette ville se heurtait au gouvernement indien qui craignait les règles strictes de protection qui nécessitent les ouvrages classés.

Autres progrès en cinq ans : un ambassadeur de France à l'UNESCO, certes très récemment nommé mais très impliqué, contrairement à Rama Yade, en poste en 2011, et d'aucun soutien alors. Enfin, un travail sérieux a été fait avec les sept pays concernés attestant que chaque édifice respecte à 100 % les attributs de la "valeur universelle exceptionnelle". Marc Petit qui pilote ce projet comprenant dix-sept sites repartis sur sept nations (France, Suisse, Allemagne, Belgique, Inde, Japon, Argentine) se veut donc « confiant, parfois très confiant, mais prudent ».

Transformer le béton en or

Accéder à ce Graal, le plus important label international en matière de patrimoine, va permettre au site de Firminy d'être reconnu à sa juste valeur. En 2015, vingt-cinq mille visiteurs avaient eu la curiosité de découvrir ce lieu aux cinq bâtiments quand la seule chapelle de Ronchamp (Haute-Saône) du même Le Corbusier attire quatre-vingt-dix mille personnes/an ; l'inscription à l'UNESCO fera grimper la fréquentation de trente pourcents environ si l'on se réfère aux répercussions sur les autres monuments classés et bénéficiera à tout le secteur du tourisme de la métropole de Saint-Étienne. Au-delà ce cet aspect économique, c'est aussi une valeur ajoutée en terme d'image qui pourrait impacter plus largement sur la métropole stéphanoise et le département de la Loire encore rattachés, dans l'imaginaire collectif, au travail minier.

Le Corbusier et le maire Eugène Claudius-Petit avaient d'ailleurs anticipé cette nécessité de revalorisation en nommant ce quartier nouveau Firminy-Vert, en réaction à la noirceur de cette vallée charbonneuse et sidérurgique. C'est précisément pour les travailleurs de ce secteur-ci et pour faire face à la croissance démographique qui engendre de nombreux bidonvilles, qu'en 1954, l'édile, également ministre de la Reconstruction et du logement, fait appel au célèbre architecte. Les deux hommes se connaissent depuis les années 1920 quand Claudius-Petit était professeur de dessin industriel. En 1933, Le Corbusier avait théorisé dans l'historique Charte d'Athènes qu'à 12% de bâtis devaient correspondre 88% d'espaces verts et que la ville devait répondre à quatre fonctions : habiter, travailler, cultiver le corps et l'esprit, circuler. C'est ainsi que son unité d'habitation (dont il ne posera la première pierre que trois mois avant de mourir en 1965 ) comprend, comme celles faites de Rézé-les-Nantes ou Berlin, un toit-terrasse, une école au dernier étage, de larges couloirs conçus comme des rues intérieures et un espace de circulation au sol – le bâtiment étant construit sur pilotis à cet effet. Équipés d'une chambre parentale, d'une autre pour les enfants (avec portes coulissantes), de salle de bain avec baignoire et d'une orientation est/ouest, ces duplex signent l'accession au confort moderne pour les classes modestes. Quatre cent quatorze logements sont donc livrés (les deux autres tours prévues ne verront pas le jour). Au-delà du geste architectural, ce type de construction est la matérialisation d'une vision politique progressiste.

Give me five

Cependant ce n'est pas cette barre qui est officiellement classée à l'UNESCO (ni d'ailleurs la piscine réalisée selon les plans de Le Corbusier, par son disciple André Wogenscky) car cet honneur revient à la Cité radieuse marseillaise, première chronologiquement, prototype et modèle des unités d'habitation édifiées par l'architecte. Bien sûr, elle sera néanmoins un lieu incontournable du site de Firminy. Mais, précisément, ce sont la maison de la culture et ses attributs (le stade et l'église) qui ont été étudiés à Istanbul. Construit entre 1961 et 1965, cet ensemble répond aux préoccupations hygiénistes et intellectuelles de son concepteur. La façade inclinée de la maison de la culture est adossée aux gradins de l'enceinte sportive et les vitres en verre ondulatoire ont été inspirées de la musique mathématique (dite stochastique) de Iannis Xenakis comme au Couvent de la Tourette. C'est surtout son toit, mouvant, reposant sur des câbles, bougeant comme une planche de surf qui est remarquable et original. Restaurée très récemment, elle renferme une salle de théâtre, une bibliothèque, un auditorium, un espace d'exposition et un foyer-bar. L'église, conique (!), n'a été, quant à elle, terminée qu'en 2006. En attendant que les panneaux de signalétique siglés UNESCO ne fleurissent dans le paysage, cet ensemble est bien sûr toujours ouvert aux visiteurs et constitue une jubilatoire plongée dans l'histoire sociétale française.

Site le Corbusier à Firminy
Ouvert tous les jours du 11 juillet au 28 août de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h, avec trois visites par jour : à 11h et 16h, visite découverte su site, à 14h30, visite de la maison de la culture et de l'église

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