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Sir Jean, Black Lyon
Par Sébastien Broquet
Publié Jeudi 28 juillet 2016
Photo : Sir Jean © DR
Ringspil Orkestar + Naouack + Sir Jean & NMB Afrobeat Experience
Ville du Monastier-sur-Gazeille
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Rhino Jazz(s) / Vous l’avez certainement vu sur une scène ou une autre, ces vingt-cinq dernières années : des Crazy Skankers au Peuple de l’Herbe, en passant par Meï Teï Shô, Sir Jean a été le frontman de quelques-uns des groupes les plus importants de la région lyonnaise. Le Sénégalais revient cette année avec le NMB Afrobeat Experience.
C’est par accident que tout est arrivé, dit-il en contant l’anecdote l’ayant amené à se saisir d’un micro la première fois. L’on parle de sa carrière de chanteur protéiformes ; même si carrière est un mot bien inapproprié pour cet homme voguant au gré des rencontres, attiré par ses semblables et toujours tourné vers l’Autre. Si pour certains cela pourrait se traduire par une forme de dilettantisme, lui n’en a cure : il a croisé sur sa route nombre de ses héros, dont l’un, le batteur de Steel Pulse, Steve "Grizzly" Nisbett, lui fit changer son regard au moment opportun. C’était avant un concert des Crazy Skankers, ce groupe de ska précurseur en France. Jean Gomis insista pour aller voir ce grizzly qui l’impressionnait tant, à défaut d’assister à son concert prévu en même temps que celui des Skankers. Il lui demanda un conseil, un seul. Steve Nisbett lui griffonna sur un bout de papier : « Love what you do. » Le papier mit longtemps à quitter la poche du chanteur, le conseil l’habite encore aujourd’hui. Car Jean Gomis, alors, n’en voulait pas de cette carrière de chanteur qui se profilait, même s’il adorait sa bande de potes bien Crazy.
Lui, arrivé en France en 1991 afin de poursuivre ses études en langues étrangères appliquées, ne rêvait que d’une chose : s’inscrire à la Fémis et devenir réalisateur de cinéma. « Ce que je ne pouvais dire à ma mère… » Ou à la rigueur, écrivain. Déjà, avant de partir de Dakar, il aurait pu aller suivre le cursus de l’école de cinéma du Burkina Faso : faute de moyens, elle ferma cette année-là. Raté. La Fémis, il se renseigna après avoir réussi son DEUG en trois ans au lieu de deux : il avait passé l’âge pour le concours. Le destin. Mais sans regret : le conseil de Grizzly était passé par là. Et Sir Jean, ainsi rebaptisé par son groupe « sans le choisir, parce qu’en Jamaïque, les chanteurs sont tous Lord, Prince ou Sir », traça sa route micro en main, plume acérée, énergie décuplée.
Très jeune, Jean Gomis découvre le septième art : de Charlie Chaplin à Gérard Philippe, le jeune garçon est fasciné. « Au primaire, j’étais dans une école privée catholique, mon père avait tenu à ce que l’on ait une bonne éducation. Je ne peux que le remercier. J’ai fait du théâtre là-bas, on avait pas mal d’opportunités. Ils avaient des moyens que d’autres n’avaient pas, dans cette école. » C’est ainsi qu’il se forme un regard mais aussi se forge en tant qu’Homme. La lecture et le théâtre l’ouvrent vers le monde. Les contes, aussi : chez les Mandjaks, son ethnie, tous les soirs les oncles se réunissaient et l’'un jouait de la guitare, l’autre racontait des histoires. Jean trainait avec ces adultes. « Ça t’ouvre un imaginaire : ces contes expliquent comment notre monde s’est mis en place. C’est une leçon d’Histoire sur ta propre tribu. Et le théâtre, c’est une manière de raconter ton histoire à d’autres. Je rencontre alors plein de gens qui ne sont pas du même univers que moi. »
Parmi ceux-ci, Bernard, un Allemand qui un jour passe le regard au dessus de son épaule, le regarde écrire un poème. Demande à sa copine, Suisse, de traduire. Échanges. Il reçoit ensuite d'Allemagne un livre qui l'imprègne : Le Prophète, de Khalil Gibran. Jean a 14 ans et découvre la force du mot, du verbe. « Ce n’est pas rien car c’est quelque chose qui me poursuit : le conte, puis le théâtre. Le verbe est toujours là, il permet d’exprimer ce que l’on est, et aussi des choses que l’on n’est pas : par la fiction. On peut rentrer dans une histoire qui n’est pas la nôtre. »
« J'ai pris la nationalité lyonnaise, pas française »
L’accident qui l’a mené à la musique, c’est un pote dans le quartier qui faisait partie de la fanfare d’une école privée de Dakar, Sacré Cœur. Elle a été dissoute, faute de moyen. Lui, Charles, avait récupéré le matériel. Et voulait créer un groupe : « Il m’a demandé si je connaissais des musiciens. Deux cousins qui étaient chez les scouts avec moi, jouaient de la guitare autour des feux de camp... Je lui présente. Ça discute et se forme. Je leur dit : c’est cool, vous avez le groupe. Ce à quoi ils me répondent qu’il manque un chanteur. J’en connais pas, de chanteur. » Laurent et Luc, les deux cousins, lui rappellent qu’il chante avec eux lors des feux de camps et à la chorale de l’église. « Mais chanter, dans un groupe, c’est différent qu’entre potes autour d’un feu ! Je dis oui, je vais essayer… En rentrant chez moi, je me demande comment je vais faire. J’écris ma première chanson. Reggae. »
The Messengers sont nés, tournent : « on a même fait la première partie d’Ismaël Lô, de l’Orchestre National du Sénégal. »
Vient le bac en 1991, le départ pour la France, aux Minguettes où son frère vivait depuis trois ans et où on lui dit de ne pas trop sortir le soir. Un mois après, sans trop d’activités, il regarde les petites annonces sur le tableau de la fac : cette fois, l’une d’elles n’émane pas d’un groupe de métal ou de hardcore, mais d’un groupe de ska. Les Crazy Skankers. « Je me dis, celui-là, ça doit être pour moi. Je prend les deux numéros. J’appelle par superstition Laurent et pas Fabien, car mon batteur au Sénégal s’appelait Laurent, je m’entendais bien avec lui. Il m’emmène répéter à Craponne. Je connaissais le ska jamaïcain… mais le ska européen, pas encore ! Super rapide, presque punk, whaa ! La première répétition, je chante, ils ne me disent rien, on continue. Toujours rien. Laurent me ramène, je lui demande : Oh les gars, vous me dites vraiment rien ? Il me répond "mais, on est super contents que tu sois là, on a un chanteur maintenant !" »
Le Sénégalais devient chanteur des Crazy Skankers, douze sur scène. Débarqué de Dakar pour jouer avec ces mecs qui ont fait le conservatoire, il est intimidé, mais pas sur scène ! « Ça a été la porte de l’école de la musique, les Crazy. On répète deux fois par semaine. Douze musiciens, plus les potes qui viennent au répétitions : j’ai appris ça ici, la tradition du pack de Kro et du spliff aux répétitions. Ça m’a fait rester : j’aurais pu rentrer au Sénégal, j’avais un billet open. Je n’ai jamais pris la nationalité française, encore aujourd’hui, mais j’ai pris la nationalité lyonnaise. Ça fait 25 ans que je suis dans cette ville et je ne me vois pas ailleurs. »
Il découvre les Bad Brains, Fishbone. Tourne des années avec les Crazy Skankers, avant que le groupe ne s’étiole vers la fin 1995. Rejoint un collectif qui débute : ce sera Meï Teï Shô. « Je rentre dans ce local qui était celui où l’on répétait avec les Crazy. J’ai pris le micro après avoir écouté leur musique. Je chante en wolof et en créole portugais : les langues sont ultra présentes dans mon univers. Ce jour-là, sortent des choses que je n’imaginais pas avoir encore en moi, aussi vivaces. Comme si un bouton sautait ! J’ai fait tomber toutes les barrières. » Elles ne se sont jamais redressées : celui qui se reconnaît deux maîtres, Bob Marley et Bruce Lee, va parcourir le monde du Brésil à Sarajevo avec Meï Teï Shô, avant de faire de même avec le Peuple de l’Herbe, tout en enregistrant avec nombre d’artistes. Un seul regret : DJ Vadim, alors au fait de sa gloire, le voulait pour un EP après Roots Manuva. En pleine euphorie Meï Teï Shô, il ne donnera pas suite.
Sir Jean & NMB Afrobeat Experience
Au festival Rhino Jazz(s), le Fil jeudi 20 octobre à 20h30
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