Aquarius : Péril(s) en la demeure

Guerre d’usure entre l’ultime occupante d’un immeuble et un promoteur avide usant de manœuvres déloyales, le deuxième long métrage du Brésilien Kleber Mendonça Filho tient tout à la fois du western, de la fable morale, du conte philosophique melvillien et de la réflexion sur le temps. VINCENT RAYMOND

Clara vit dans son petit immeuble en bord d’océan, l’Aquarius, depuis toujours. En apparence, tout le monde respecte cette ancienne critique musicale, cette brillante intellectuelle, mère de famille, elle a de surcroît survécu à la maladie. Les opinions à son encontre changent lorsqu’elle refuse une offre pour l’achat de son appartement : seule à résister à l’appât du gain, aux intimidations diverses du promoteur (et à ses manœuvres déloyales), elle essuie en sus l’hostilité des copropriétaires de l’Aquarius comme de ses enfants, favorables à la conclusion de la vente. Mais l’obstinée Clara est dans son bon droit…

La Folle du logis

Reparti bredouille de la Croisette, Aquarius mérite sa chance en salle. Ce combat du pot de terre contre le pot de fer est davantage qu’une chicanerie immobilière, même s’il corrobore incidemment les relations immorales entre le pouvoir (médias, religion, politique…) et les promoteurs — le Brésil est actuellement secoué par un gigantesque scandale de corruption dans lequel se retrouvent bien placées les omnipotentes entreprises de BTP du pays. Aquarius illustre surtout un très problématique (pour ne pas dire ambivalent) rapport au passé, voire l’incapacité contemporaine de s’y confronter. D’un côté, on feint de révérer la ruine, l’archive, le résidu d’un temps achevé et révolu — lesquels, n’étant plus susceptibles d’être revendiqués, peuvent se piller allègrement — ; de l’autre, on ignore (quand on ne cherche pas à détruire) le vestige vivant, le témoin, l’ancêtre qui semblent des anomalies dans une société aspirée par une irrépressible pulsion de progrès.

Or Clara (formidable Sonia Braga) est une matérialiste au sens noble du terme — c’est-à-dire qu’elle accorde une valeur sentimentale aux choses (elle tente ainsi de démontrer à une jeune oie la supériorité de ses 33t, réceptacles physiques de souvenirs, sur les MP3 délétères) au détriment de leur poids vénal. Elle incarne la tradition analogique face au jeune promoteur, représentant de la dématérialisation et de la volatilité absolues (y compris économique), et donne vie à l’Aquarius dont elle est l’âme. Une âme forte capable de traquer la petite bête… Et de l’écraser.

Aquarius de Kleber Mendonça Filho (Bré., 2h25) avec Sonia Braga, Maeve Jinkings, Irandhir Santos… (sortie le 28/09)

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