Ébauche de renouveau pour Xavier Dolan qui adapte ici une pièce de Lagarce, où un homme vient annoncer son trépas prochain à sa famille dysfonctionnelle qu'il a fuie depuis une décennie. Du maniérisme en sourdine et une découverte : Marion Cotillard, en comédienne.
La parentèle recuite dans sa rancœur d'un côté ; de l'autre le fils prodigue... C'est une bien belle collection de menteurs et de névrosés qui défile. De lâches, aussi. Ensemble ou séparément, ils ne parviennent pas à extérioriser ni leur amour, ni leur haine. Dans la présence des corps, c'est l'absence des mots qui les foudroie.
La pièce de Lagarde dont Dolan s'est emparée est un de ces psychodrames familiaux à la Festen, où jamais les traumas originels n'arrivent à s'exprimer, ni les abcès à se vider. Personne n'a le luxe de respirer dans cette succession de têtes à têtes : à la canicule s'ajoute l'oppression de gros plans implacables entravant jusqu'au mouvement de la pensée. Comment peut-on être aussi seul en coexistant à plusieurs, aussi éloignés en ayant tant en commun ?
Cotillard, épure et pure
Avouons que l'on redoutait la surenchère de têtes d'affiches ; on la craignait comme un artifice obscène, un signe extérieur de richesse vulgaire, un mesquin coupe-file pour la Croisette... Oubliant qu'une réunion de comédiens de renom dans un quasi huis clos les condamne à se mesurer les uns aux autres ; accentue les disparités et pousse les spectateurs à comparer les interprétations.
C'est une joute parallèle à l'intrigue qui se déroule ici, remportée haut la main par Marion Cotillard, saisissante d'exactitude dans sa fragilité et sa bienveillance désemparée — on l'a rarement vue aussi sobre ; il faut qu'elle oublie Batman et vole sur les planches explorer cette gravité nouvelle qui lui est apparue. Le constat sera plus sévère pour Vincent Cassel. Dépositaire du rôle le plus antipathique, il ne lui apporte aucune nuance et s'enfonce avec lui dans un monochromatisme bourrin de beauf violent. Comment sabrer un personnage...
Si Dolan reconnaît avoir expurgé son cinéma de bon nombre de ses tics et effets de style pesants — ces coquetteries outrancières qui sont à l'élégance ce qu'un casque à pointe est à l'aérodynamisme —, il en demeure de solides vestiges dont il ne semble pas encore prêt à faire le deuil. Telles ses “parenthèses jukebox“ (nous gratifiant d'une inclusion soudaine de Dragostea din tei d'O-zone et d'une fin sur Natural Blues de Moby) ou sa propension à peinturlurer ses comédiennes d'emplâtres criards.
Mais évitons de trop insister sur ces détails, car il pourrait décider de suivre le précepte de Cocteau — “ce que l'on te reproche, cultive-le : c'est toi-même” — et les accentuer pour sa prochaine réalisation.
Juste la fin du monde de Xavier Dolan (Qué-Fr, 1h35) avec Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Léa Seydoux, Marion Cotillard...