Rencontre / L'auteure-compositrice-interprète Émily Loizeau est revenue en 2016 avec un projet très intime : Mona. Un dyptique avec une pièce de théâtre mais aussi un album magnifique qu'elle présente avec ses cinq musiciens sur scène pour les Oreilles en Pointe. Au Chambon-Feugerolles, elle apportera lumière, espoir et humanisme à travers ses textes et sa musique enjôleurs.
Mona est un projet basé sur une création de théâtre musical ?
Oui, tout à fait. Je suis allée toquer à la porte du 104 à Paris (ndlr : grand lieu de création et de production) pour cette création. Je ne savais pas encore de quoi j'allais parler. J'avais écrit cette histoire deux ans auparavant comme une nouvelle. Mais je ne pensais pas particulièrement à l'adapter pour la scène. J'avais simplement envie d'écrire autrement pour mon prochain album, par exemple créer une bande originale de film. Mais j'avais aussi envie de remettre un pied dans le théâtre. Du coup, écrire une pièce, un spectacle pour lequel je devais écrire une musique était la solution. Je voulais que la démarche d'écriture de ce nouvel album soit de servir une histoire, une narration et une scénographie. Qu'une chanson serve une émotion, éclaire une situation, se mette en retrait, ... qu'elle permette à un personnage de s'exprimer autrement qu'en parlant, que des passages instrumentaux qui puissent transporter l'émotion. Et puis, j'ai décidé d'adapter Mona, cette histoire que j'avais déjà écrite, tout en la transformant pour la scène. J'ai commencé à écrire les chansons et tout s'est enchaîné.
Sur scène, communiquez-vous encore beaucoup avec le public ?
Quand je suis en format concert, il y a effectivement une dimension "cabaret" avec des moments où la musique prend toute la place, et d'autres où j'aime parler avec les gens, rire, avoir un clin d'œil, partager une émotion... Dans le cadre de la pièce de théâtre qui tournera en 2017, il y a une histoire à rendre. Nous sommes des personnages et on essaie de faire sentir aux spectateurs qu'ils font partie de cette histoire un peu étrange. Lors d'un concert, je retrouve ce moment de jeu avec le public même si on conserve un côté cinématographique, visuel et sensoriel auquel j'avais envie de laisser une place. Mais c'est sûr que remettre les pieds dans le théâtre, en tant que comédienne et chanteuse, a été pour moi une manière d'aller plus loin dans l'exploration du jeu et de donner une autre dimension à mes chansons.
Concernant la composition, vous vous êtes enfermée au CentQuatre à Paris pour écrire ?
(Rires) J'étais en train d'adapter le texte pour la scène et en même temps j'écrivais les musiques. Tout ceci était un canevas. Donc j'étais tous les jours dans ma petite pièce du CentQuatre qui offre un regard sur cette grande halle où tout un tas de gens travaillent quotidiennement : il y a du breakdance, du jonglage, du théâtre, ... un peu de tout. C'est une vraie ruche artistique. Chacun s'approprie un espace en respectant l'espace de travail de l'autre. On croise de nombreuses personnes. J'ai écrit dans ce contexte-là mais baignée dans cette histoire que j'étais en train d'adapter pour la scène. J'envoyais régulièrement les maquettes des chansons à mes musiciens afin qu'on élabore ensemble les arrangements, avant d'aller rejoindre Renaud Letang pour la réalisation du disque.
Ce dernier a d'ailleurs eu un rôle très important sur cet album...
Clairement. Quand je suis allée le voir, je tenais à travailler avec lui après une mûre réflexion. J'avais envie de travailler avec un réalisateur, je sentais que c'était une étape nécessaire pour moi. Jusque là j'avais toujours fait ça moi-même. Cela m'a permis de me libérer de certaines choses, apprendre, grandir, passer un cap. Et j'ai choisi Renaud car il a un son très particulier qui était déjà suggéré dans les maquettes. Je voulais un son très organique, acoustique et naturel mais je souhaitais aussi le triturer, le pervertir, le rendre plus cynique, le fêler, le tordre avec des effets. Il fallait que la matière organique reste majeure mais qu'elle soit transportée. Conserver la chanson, de la pop très acoustique mais aller chercher des sons plus industriels et urbains.
« Mona un disque lumineux qui veut croire que demain ira mieux. On a besoin de ça, de se dire qu'il est possible que tout aille mieux. »
Mona, c'est finalement une histoire très personnelle que vous délivrez dans cet album. Mais il y a aussi une volonté de parler de l'actualité difficile que nous vivons ces derniers temps...
Oui, en effet. Cette histoire à propos de la folie et du déséquilibre psychique est nourrie par l'autre histoire parallèle, qui est un peu sa métaphore, du naufrage de ce bateau pendant la Deuxième Guerre mondiale au large de la Crète, de la noyade de ce marin qui survit malgré tout, de ses lettres d'espoir envoyées à sa femme qui s'apprête à donner la vie à leur enfant. L'abject est en train de prendre le pas en Europe, mais il conserve une foi absolue en la lumière, en demain, en une vie future où l'humanisme vaincra... Et évidemment, toutes ces choses résonnaient fort en moi lors de la composition. À un moment donné, quand est arrivé janvier 2015, cela devenait compliqué d'écrire. Malgré l'importance de cette création, tout me paraissait anecdotique et avait un goût très amer, sans saveur. Il a fallu se relever et écrire quelque chose ayant du sens par rapport à ce que je ressentais. Le titre Eaux Sombres est né de cela et a continué à résonner depuis... Mona un disque lumineux qui veut croire que demain ira mieux. On a besoin de ça, de se dire qu'il est possible que tout aille mieux.
Soirée courroies et engrenages : Émily Loizeau [+ Anastasia], vendredi 18 novembre à 20h30, à La Forge au Chambon-Feugerolles