"American Honey" : le miel de la misère américaine

American Honey
De Andrea Arnold (ÉU, 2h43) avec Sasha Lane, Shia LaBeouf...

La trajectoire de Star, ado du Kansas fuyant un foyer délétère, pour intégrer une bande de VRP à son image, cornaqués par un baratineur de première. Un portrait de groupe des laissés pour compte et des braves gens d’une Amérique sillonnée dans toute sa profondeur, où même la laideur recèle une splendeur infinie.

Quand on a 17 ans et aucune autre perspective que fouiller les poubelles pour nourrir sa fratrie ou se faire peloter par son épave de père, on n’hésite pas longtemps lorsque s’offre une occasion de quitter son trou à rat. Pour Star, elle se présente sous les traits de Jake, hâbleur et fantasque chef d’une troupe d’ados vendant des magazines en porte-à-porte pour le compte de la belle Krystal. Séduite et cooptée, Star rejoint son escadron de bras cassés cueillis au gré des haltes du cortège. De grands gamins paumés mais pas méchants, formant un clan où Star se sent “à part”…

Étoile fuyante

À de rares exceptions près, vous ne trouverez guère dans les JT d’images authentiques de cette Amérique profonde, malade et déclassée, qui a fini par voter Trump par désarroi ou désespoir. Plusieurs longs-métrages ont cependant diagnostiqué la lèpre sociale rampante, de Winter's Bone de Debra Granik (2010) à The Other Side (2015), sans ménagement ni complaisance. Visages édentés, corps ravagés par le crack, inceste et délinquance en sus, les tableaux de ce quotidien abominable y étaient d’une noirceur épouvantable, aggravés par le choix d’une esthétique pléonastique.

A contrario, Andrea Arnold ne se laisse pas piéger : si elle traite d’une forme de misère, son sujet ne se réduit pas à la misère. Rien ne justifie donc qu’elle enlaidisse son image pour appuyer son propos. De fait, la photo signée Robbie Ryan — déjà à l’œuvre pour Moi, Daniel Blake — tutoie le sublime : Star peut visiter une masure décatie du quart-monde, rêvasser ou tailler une pipe à un ouvrier du pétrole dans son truck, la moindre image est un éblouissement visuel, la promesse d’un ailleurs ou d’un lendemain meilleur.

Andrea Arnold sait préserver de la jeunesse la naïve et gracile beauté ; elle lui rend justice et dignité en la montrant sans la “monstrer”. Déjà cabossée, certes, mais encore riche d’un potentiel de grâce, de générosité et d’espérance ; tout ce qui chez Larry Clark, Gus Van Sant ou Harmony Korine a déjà été consumé par le cynisme.

Et si, en plus de son Prix du Jury à Cannes, ce film-odyssée tribal, tellement pudique en dépit des apparences, bénéficiait d’une vraie reconnaissance publique ?

American Honey de Andrea Arnold (É-U-G-B, avec avertissement, 2h43) avec Sasha Lane, Shia LaBeouf, Riley Keough…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mercredi 5 juillet 2023 Alerte orange au Puy-en-Velay du 17 au 23 juillet : des rafales venant des 4 coins du monde sont à prévoir. Veillez à vous munir d’appuis bien solides, vous (...)
Vendredi 7 avril 2023 Suite à une expérience visant à réguler la température de la planète, la Terre subit des chaleurs extrêmes qui détruisent la quasi-totalité du monde comme nous le (...)
Jeudi 5 janvier 2023 Une silhouette élégante de nonce apostolique ou de clergyman gravit des escaliers. « Ne vous y fiez pas, il est très drôle, il faut juste le lancer » nous glisse Louis Garrel juste avant notre entrevue avec Michele Placido qui vient de le diriger...
Lundi 5 décembre 2022 Le premier fils, Dimitri, impétueux, sanguin et violent, est le rival de son père, entiché de la même femme que lui. Le second, Ivan, cynique intellectuel athée (...)
Mardi 22 novembre 2022 Chaque mois, Le Petit Bulletin vous emmène à la découverte d’une structure de diffusion culturelle du département. Concerts, théâtre, danse, expos… Il y a forcément un lieu qui vous attend quelque part ! Aujourd’hui, rendez-vous au Château du...
Jeudi 3 novembre 2022 Pour mieux connaître le Petit Bulletin, découvrez ce que ses journalistes écoutent : chaque semaine, un membre de l'équipe partage avec vous sa playlist du moment! Aujourd'hui, Anaïs, notre journaliste-testeuse-des-chouettes-endroits-où-manger, nous...
Mercredi 14 septembre 2022 La préfecture de Haute-Loire s’apprête une nouvelle fois à se parer de ses plus belles plumes, pour les traditionnelles fêtes du Roi de L’Oiseau. L’occasion d’un dépaysement total, au gré des déambulations dans les méandres du passé. En route !
Jeudi 29 septembre 2022 Avec ses paysages sonores qui racontent les grands espaces, le feu, le froid, les hommes et les âmes planantes, uRYa est un pur passeur d’émotions. Venue (...)
Mardi 13 septembre 2022 Dans le cadre des Cafés interculturels coorganisés par le Solar et l’École de l’Oralité, trois grands maîtres nippons illustrent le Japon traditionnel aux côtés (...)
Mardi 6 septembre 2022 Une femme aimante et disponible, un mari charmant et brillant : que pourrait-il arriver à ce couple en apparence parfait ? C’est l’intrigue qui rythme (...)
Mardi 5 juillet 2022 Depuis des lustres (1988 pour être précis), Craponne-sur-Arzon fait figure de référence sur la planète Country Music. Mais après quelques éditions compliquées et à (...)
Mardi 26 avril 2022 Le confinement, c’est loin. La preuve, vous avez arrêté de faire votre pain. Par chance, d’aucunes en ont fait leur profession.
Mardi 26 avril 2022 La Ville de Lyon et la Métropole réglementent l’offre en matière de logements meublés touristiques longue durée dans un hyper centre lyonnais assez large. Excellente nouvelle pour les habitants.
Mardi 26 avril 2022 Toujours là, ces types en costards Paul Smith et pompes en cuir qui brille. Toujours là, ces poignées de mains viriles à qui serrera le plus fort. Toujours là, (...)
Mardi 26 avril 2022 De confinements en couvre-feux, la pandémie aurait presque fait oublier qu’un festival de musiques est avant tout un temps de convivialité partagée, entre amis, dans une foule de mélomanes raisonnablement...
Mardi 26 avril 2022 Fruit du travail de bénédictin d’un homme seul durant sept années,  Junk Head décrit en stop-motion un futur post-apocalyptique où l’humanité aurait atteint l’immortalité mais perdu le sens (et l’essence) de la vie. Un conte de science-fiction avec...

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X