Ska / Les mythiques Skatalites, qui ont façonné un son typiquement jamaïcain, nourri du rythme ska et d'emprunts au bebop, sont de passage au Clapier.
Nous sommes en 1963, à Kingston, du côté de Brentford Road. Là, une bande de Jamaïcains se retrouvent tous les jours, jammant ensemble, enregistrant, composant, prenant leur temps. Ce n'est pas encore un groupe, mais il s'agit déjà d'une invention majeure : Clement Coxsone Dodd avait à ce moment-là décidé de monter son propre studio et de sortir en 45t les titres que les musiciens le squattant lui donnaient, a contrario d'une méthode alors en vogue : adapter les succès de la soul américaine.
En laissant ouvert ce studio à un groupe maison, les laissant imaginer et inventer, il créa un précédent notoire. Car ce groupe devint The Skatalites et lança totalement le ska, qui restait alors discret même si les radios l'adoptèrent rapidement, friandes de ce rythme rapide, qui plus est, produit localement. Ceux qui formaient ce groupe, de Jackie Mitoo le génial organiste à Don Drummond le légendaire tromboniste, en passant par le trompettiste Ba Ba Brooks, le bassiste Lloyd Brevett (qui fut l'un des premiers à troquer sa contrebasse pour la basse électrique, révolutionnant là encore la musique locale en ralentissant son jeu et amenant par là-même le rocksteady), les chanteurs Lord Tanamo et Tony DaCosta, non seulement portèrent au firmament un genre qu'ils incarnent aujourd'hui totalement, mais façonnèrent une manière de faire qui est toujours de mise à l'heure actuelle : celle de pouvoir prendre son temps en studio en toute liberté et ainsi laisser parler sa créativité, sans payer à l'heure ou à la session.
The Skatalites étaient alors le groupe maison de Coxsone, jouaient sur presque toutes ses productions ska de l'époque, derrière des chanteurs qui faisaient de Studio One un label incontournable. Ces brillants solistes sont pour la plupart issus de la prestigieuse Alpha Boy's School, légendaire école de South Camp Road d'où sont sortis des générations de grands musiciens jamaïcains, où la discipline imposée par les nonnes s'appliquait tout autant aux corvées quotidiennes qu'aux cours de musique. Don Drummond en a pris de la graine et imposa la même lors des sessions à Studio One où il imagina un savoir faire et une vision partagée par le maître des lieux : celle d'inventer un jazz local, mariage de rythmes ska et d'influences venues du bebop.
Guns of Navarone
Particulièrement proflifiques, profitant des talents combinés de tous ses membres, The Skatalites enregistrèrent une flopée de disques, parfois sous d'autres noms, parfois en solo mais avec les membres du groupe en accompagnateurs. Ils incarnèrent totalement le son des années 60 en Jamaïque. Des très politiques Man in the Street et Addis Ababa à Guns of Navarone (qui devint le premier tube jamaïcain en Angleterre, entrant dans le top 30, en même temps que Al Capone de Prince Buster), le groupe signa succès sur succès jusqu'au triste départ de Don Drummond, devenu fou, tiraillé par sa haine des Blancs, qui poignarda sa compagne début 1965 et mourut dans un asile psychiatrique quatre ans plus tard.
Une anecdote illustre ce que représente The Skatalites : on proposa un jour à Lynn Taitt, guitariste trinidadien installé à Kingston, arrangeur génial et novateur, de prendre la direction de l'orchestre. Celui qui avait joué avec Alton Ellis ou Derrick Morgan refusa le poste, considérant qu'il devait être occupé par un jamaïcain vu l'importance du rôle d'ambassadeur des musiques de l'île de ce groupe. C'est ce que sont toujours The Skatalites aujourd'hui, même si les membres originels ne sont plus là : un répertoire unique, que de génération en génération des virtuoses font perdurer depuis une reformation en 1983, au départ avec les survivants du groupe originel, qui disparaissent peu à peu (Jackie Mitto en 1990). Mais c'est surtout une sorte d'orchestre national de la Jamaïque, un véritable trésor de Kingston.
The Skatalites [+ Medicinal Sound System], mardi 21 mars à 20h, au Clapier à Saint-Étienne