Mars : Non mais ça ne va pas mieux ?

Cinéma / La bagatelle de 88 films s’apprête à fleurir sur les écrans en ce mois de mars — un flot insensé propre à rendre malades les plus chevronnés des spectateurs. Curieusement, la thématique de la pathologie y est très présente. C’est grave, docteur ?

À la différence de la semaine des quatre jeudis, les mois à cinq mercredis existent bien. Et pèsent puissamment sur le calendrier cinématographique, soumettant les spectateurs indécis à une torture chronique. Lorsqu’en plus ils traitent de désordres physio- ou psychologiques, cela vous donne l’impression de faire un stage aux urgences. Le summum est atteint avec le très attendu Grave de Julia Ducournau (8 mars) film gore présenté lors la dernière Semaine de la Critique cannoise décrivant le calvaire d’une jeune végétarienne, élève en école vétérinaire de surcroît, se découvrant un goût pour la chair humaine. Cette approche singulière dans le paysage hexagonal — qui lui a d’autorité attiré une audience mondiale, séduite par l’odeur de l’hémoglobine scandaleuse —, se double d’un sens organique du plan, du son et du montage. Manque toutefois encore un peu de substance dans son écriture, souffrant de la maladie du cartésianisme et de court-métragisme résiduel. Julia Ducournau devrait s’en remettre très vite.

Tout ça, c’est dans la tête

Le PC du corps est le centre de bien des désordres. Pour la comédie romantique L’Embarras du choix (15 mars), Alexandra Lamy incarne une indécise pathologique hésitant entre tout et son contraire. Son réalisateur Éric Lavaine, en revanche, ne devrait pas tergiverser : un film par an, c’est trop, il lui faut des vacances ! Parfois, c’est le cerveau des personnes âgées qui part en vacances. En vieille tante yoyotante et dansante, Emmanuelle Riva met ainsi le feu aux poudres de la nouvelle fantaisie du duo Gordon & Abel, Paris pieds nus (8 mars). Comme à son accoutumée, le duo s’inscrit dans la tradition mimo-burlesque de Tati, usant d’un humour à froid chorégraphié, exagéré, répétitif, ainsi que d’artifices volontiers visibles. Une comédie au charme suranné, dont les couleurs vives mériteraient d’être en noir et blanc.

Nicolas Bedos aussi s’essaie à Alzheimer dans Monsieur & Madame Adelman (8 mars), le film qu’il a réalisé mais aussi coécrit et cointerprété en compagnie de Doria Tillier — avec autant de casquettes, pas étonnant d’avoir des problèmes de tête. Cette enquête à la Citizen Kane (hi hi) sur un écrivain défunt, récit de la vie tumultueuse d’un couple, s’achève justement par la sénilité de son personnage déclinant. De grosses ambitions, quelques jolies références au Magnifique de Philippe de Broca — quant à la place du romancier, notamment —, et surtout pas mal de narcissisme post-beigbedien. Un néoclassicisme ?

De passage en France pour Le Secret de la chambre noire (8 mars) Kiyoshi Kurosawa imagine de son côté Tahar Rahim faisant perdre la boule à Olivier Gourmet en lui faisant croire — pour son bien et dans son intérêt, car c’est très tordu — que sa fille est morte alors qu’elle ne l’est peut-être pas. Une heure d’installation inutile, suivie d’une heure de spectres se baladant en froufroutant sur fond de spéculation foncière, le tout avec une intrigue dont le twist final ne surprendra qu’un(e) élève de CE2… était-ce bien utile ?

♪Je suis pas bien portant ♫

Autrefois, Ouvrard chantait « J’ai la rate qui s’dilate » ; de nos jours, c’est le slammeur Grand Corps Malade qui tourne avec la complicité de Mehdi Idir l’adaptation de son autobiographie Patients (1er mars) retraçant son séjour en centre de rééducation, après l’accident qui aurait pu le laisser tétraplégique. Cette histoire de miraculé s’inscrit dans un air du temps survalorisant l’optimisme (voir L’Ascension) : Ben, le héros de ce biopic est un bloc quasi parfait de pensée positive, distributeur de punchlines à toute heure, de sourires et de bonne humeur. Mais pour un Ben, combien d’autres à la peine, voire à la benne ?

Lauré pour Séraphine, Martin Provost revient avec une Catherine Deneuve fantasque mais mourante, collant aux basque de Catherine Frot dans Sage Femme (22 mars). Une comédie dramatique où les deux comédiennes font strictement ce qu’on attend d’elles, blotties dans le doux ronron de la prévisibilité. Heureusement que Olivier Gourmet — toujours lui — diffuse une bienveillante chaleur et son inaltérable douceur.

Pour ses multiples gueules cassés, son début avec infarctus et ses comas artificiels, on vous conseillera quand même un shoot de Trainspotting 2 de Danny Boyle (1er mars), la suite convenu mais très convenable de nos amis écossais, donnant l’illusion pendant 2 heures de rajeunir de 20 ans. Enfin, on aurait aimé évoquer deux films avec des mutations corporelles. Hélas, il nous est impossible de parler de Zoologie, de Ivan I. Tverdovsky (15 mars), ou l’histoire d’une femme qui se voit pousser un appendice caudal ; comme de La Belle et la Bête de Bill Condon (22 mars), adaptation avec des comédiens du dessin animé du et par le studio Disney. Le premier n’ayant pas été vu et le second étant sous embargo, nous conclurons donc par une extinction de voix…

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