Gilles Granouillet, piqué de théâtre

Portrait / 15 ans après l’ouverture du Verso rue de la Richelandière, le dramaturge et metteur en scène nous raconte sa passion d’un théâtre social, ancré dans l’histoire stéphanoise.

Il est modeste, Gilles Granouillet. Il vous accueille sans prétention dans sa petite salle commune du Verso qui fait office de cuisine-salle à manger-salle de réunion et vous fait partager un café froid en soupirant sa fatigue, l’usure des années et de ce métier qui n’en est pas vraiment un, de métier normal. Pourtant il en avait fait des métiers « plus basiques » avant, il sait qu’ils ne sont pas non plus de tout repos. Arrivé au théâtre et à la littérature par hasard, ce fils de Manuchards (comme on appelait les ouvriers de l’ancien Manufrance) a d’abord été manutentionnaire, puis instit avant de s’autoriser à embrasser une carrière artistique, un peu incongrue pour les gens de son milieu. Il a d’abord commencé par se fourvoyer dans un improbable IUT en gestion d’administration des entreprises, pas vraiment une filière « poétique ». On ne saura jamais si Gilles Granouillet aurait fait un comptable lyrique, puisqu’il n’a pas persisté longtemps dans cette profession du chiffre, trop austère pour un amateur de belles lettres. Magasinier chez un vendeur de motos puis instituteur pendant sept ans, le jeune stéphanois trompe l’ennui en prenant des cours de théâtre à la Comédie. D’abord en dilettante, puis de plus en plus accro à cet univers, « si éloigné de ses origines ouvrières ».

La reconnaissance venue de Paris

« J’étais trop traqueur pour avoir du plaisir à jouer, confie Gilles Granouillet. Ce qui me plaisait avant tout, c’était de voir les mots s’incarner sur scène. » L’écriture et la mise en scène, en somme. C’est là qu’il décide de créer avec un petit groupe de passionnés rencontrés dans ses cours du soir, une troupe de théâtre amateur. La compagnie Travelling théâtre naît en 1989 et ce qui devait rester un passe-temps du dimanche devient une occupation de plus en plus prenante pour Gilles Granouillet, qui passe instit à temps partiel, puis renonce à la sécurité de l’emploi pour se lancer dans l’aventure théâtrale à temps plein. Il écrit une première pièce Le temps des muets qu’il ne juge pas digne de sortir des tiroirs du théâtre amateur. Puis une deuxième Les anges de Massilia avec laquelle il courtise enfin les maisons d’édition. Sans trop y croire au début. « Je ne savais pas vraiment comment m’y prendre pour être publié, j’allais à la bibliothèque et recopiais les adresses des maisons d’édition pour leur envoyer mon petit courrier maladroit » raconte, un rien attendrissant, l’auteur aujourd’hui reconnu. Et là, coup de théâtre ! Un éditeur s’emballe pour la pièce, confortant le dramaturge débutant dans sa décision de se consacrer pleinement à son art. Pour autant, il ne faut pas croire que l’Institution du théâtre local, engoncée dans ses codes, lui ait déroulé le tapis rouge.

Quand on n’est pas du sérail, on vous regarde de haut.

« Quand on n’est pas du sérail, on vous regarde de haut. Il a fallu que la reconnaissance vienne de Paris, pour que l’establishment stéphanois change de regard », se souvient un peu amer, le quinquagénaire. Jamais prophète en son pays, l’adage est bien connu… Qu’à cela ne tienne, même affublé de l’étiquette "amateur" qui lui collait aux basques, Gilles Granouillet s’obstine. La prestigieuse maison d’éditions Actes Sud publie ses deux pièces suivantes Vodou et Chroniques des oubliés du Tour en 1999, ce qui le rend subitement très intéressant pour les mêmes qui le trouvaient si peu fréquentable. Auréolé du succès parisien, la Comédie lui ouvre ses portes et lui propose un poste d’auteur associé qu’il gardera de 1999 à 2010. Depuis, l’auteur prolifique a publié une vingtaine de pièces, montées par des metteurs en scène de tous horizons, traduites pour certaines et jouées hors des frontières de l’Hexagone.

Un théâtre exigeant, mais populaire

N’empêche, il n’a pas oublié les difficultés de ses débuts. Et cette porte qu’on a tardé à lui entrebâiller, lui a voulu l’ouvrir pour les compagnies locales qui essaiment de l’école de la Comédie et qui cherchent un lieu pour incuber leurs premières créations. C’est la raison de la reprise du Verso en 2002, un lieu de répétition vétuste qu’il a retapé à coup de grands pots de peinture, d’huile de coude et de bonnes volontés pour en faire un lieu d’accueil chaleureux pour un théâtre exigeant. Exigeant ? Gilles Granouillet tique un peu sur ce qualificatif tant il peut renvoyer à des connotations élitistes ou austères, si éloignées du théâtre populaire et vibrant qu’il aime. Populaire ? Son théâtre l’est sûrement par les thèmes qu’il aborde, souvent au cœur des préoccupations de cette nouvelle classe prolétarienne, qui souffre dans sa dignité, encore plus que dans son pouvoir d’achat. Un sentiment d’humiliation magnifiquement incarné dans sa pièce Abeilles, mise en scène par ses soins en 2014, qui brosse le portrait subtil d’un père immigré (on ne sait pas d’où il vient, on peut le deviner d’origine turque, algérienne ou marocaine). Un chômage inexpliqué l’entraîne dans un abyme de perte de confiance en lui, cristallisé par un fait à l’apparence banale : son fils aîné, devenu indépendant financièrement, offre un portable à sa petite sœur que lui-même n’a pas les moyens de lui payer. De ce déclencheur anodin, Gilles Granouillet tisse avec talent la trame d’une histoire à la fois rocambolesque et réaliste. Une chronique sociale incisive mais un regard tendre sur une famille dans laquelle tout le monde peut se reconnaître. Une part autobiographique aussi, référence à son propre père qui a très mal vécu son licenciement, la cinquantaine passée, à la fermeture de Manufrance. Même si l’immigration dans son cas est en provenance de la proche Haute-Loire mais le sentiment de déracinement ne se mesure pas aux kilomètres… Populaire ? Son théâtre l’est aussi par le public qu’il accueille, à des tarifs abordables, pour voir des pièces contemporaines, des spectacles de danse ou des créations pour jeune public, que l’ancien instit n’a pas oublié. Il est modeste, Gilles Granouillet, comme seuls les artistes talentueux savent l’être. Et en quittant son théâtre niché dans une ruelle pentue du quartier Saint-François, on se dit que le terreau stéphanois est fertile de précieuses pépites que l’on gagne à connaître.

Gilles Granouillet en quelques dates :

1963: il naît à Saint-Étienne

1989 : création sa compagnie Travelling théâtre

1992 : publie sa première pièce Les Anges de Massilia

1999 à 2010 : auteur associé à la Comédie de Saint-Étienne

2002 : il fonde le Verso

2014 : présentation de sa pièce Abeilles, portrait subtil d’un père immigré

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